Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Du rugby et des histoires... - Page 7

  • Au royaume de la rouille

    Récemment, j’ai lu quelque part- je ne sais plus exactement où. Dans quel livre, moi qui ne lit que la presse sportive, et encore ? A moins qu’il ne s’agisse d’une de ces quatrièmes de couverture parcourue à la sauvette au moment des achats de Noël alors que je cherchais un roman pour ma femme qui, elle, s’est remise à la lecture, après une longue période d’hospitalisation. Mais c’est une autre histoire et je ne me sens pas trop d’étaler ses souffrances au grand jour. Je sais bien que « la santé par les plaintes » est un truc assez vogue. Et qu’à l’approche de l’automne de sa vie, on est parfois tenté de s’en remettre au don des larmes qu’on suppose chez son prochain. Et voici déjà que, sans même y prendre garde, cette touche maladroite de vert timide dont on a cru utile de teinter son petit récit tire-larme a fini par prendre la teinte même de la mort. Les yeux implorants, on voudrait rendre son existence plus digne d’intérêt aux yeux d’un monde déjà borné de malheurs en tout genre et que fait-on à part exhiber sa propre fragilité…

    Oui, il me semble que c’est bien à l’occasion des dernières courses de Noël, que j’ai lu, probablement au dos d’un de ces livres dont la couverture avait du me faire de l’œil, cette phrase. Une phrase, et ça je m’en souviens exactement, qui évoquait un rideau de montagnes, et puis, en arrière-plan, les riches nuances de l’hiver se déployant sous le soleil en train de se lever. L’hiver et ce pouvoir qu’il a de repousser les rousseurs de l’automne et toutes les rouilles de nos existences sous le linceul bien commode de l’oubli. Pour un temps seulement. Mais quand même. L’hiver donc. Et un rideau de montagnes. Il n’en fallait pas d’avantage. Oui. Il n’en fallait pas plus pour qu’un souvenir aussitôt me submerge. Un souvenir venu du plus loin de l’enfance…

    Et j’étais reparti au pays de neige. Et je me suis souvenu de cette fois. De cette fois où le chemin du retour vers Belcaire était entièrement recouvert de neige. Alors...Quelques mètres après l'embranchement qui menait au col de Trassoulas, Papa - je revois encore son pantalon de velours à grosse cotes et l’anorak maculé de gasoil -, Papa en toussant m'a fait un clin d'œil et je savais ce que ce clin d'œil voulait dire. " Tu pourrais pas nous changer un peu la musique?" Voilà ce que ce clin d'œil voulait dire. Alors, j'ai avancé mon petit doigt - il se tenait déjà prêt au cas où - au-dessus de la touche stop du magnéto K7, la seule "marquée au fer rouge " disait Papa. Depuis le départ - il faisait encore nuit quand nous avons quitté le village. Juste avant, nous avions déjeuné à la fourchette. Et comme ça, lentement, une bouchée après l'autre. Parce qu'ensuite, il faudrait aller vite, sans quoi les vaches…-, depuis le départ, Cats Stevens miaulait en boucle et ce bon vieux Cats n'était pas exactement réputé pour ses façons de chat sauvage. Voilà...J'étais sur le point d'enclencher une nouvelle cassette - King Crimson. Oui, il me semble que c'était une cassette de King Crimson. Cette cassette-là - lorsque j'ai entendu un son. C'était un son juste au-dessus de ma tête avec mon petit doigt qui s'avançait juste au-dessus de la touche lecture du magnétophone. Le son lointain d'une tempête de neige s'éloignant dans la bruyère...

    Plus loin, quelques heures plus tard…Les bêtes enfin à l’abri et les bâches tirées à la hâte sur les balles de regain entassées dans le hangar de derrière dont le portail fermait mal, nous roulions cette fois sous une violente tempête de neige et le rideau des montagnes s’estompait peu à peu comme nous amorcions la descente vers la haute-vallée, où les flocons ne tarderaient pas à se changer en grosses gouttes d’une eau sale et lourde, et Papa toussait à ne pas croire, le rhume à venir n’étant plus qu’une question d’heures. Mais au diable ce genre de crainte. Oui. Au diable ce genre de considérations un peu trop pusillanimes. Papa avait son entraînement et puis c’était tout. Papa jouait deuxième ligne. Il approchait de la trentaine et bientôt arriverait l’heure de raccrocher les crampons. De rejoindre « le royaume de la rouille » comme il le répétait de plus en plus souvent avec ce sourire un peu forcé. Je le revois encore - toujours le même anorak un peu pourri et, cette fois, son flottant blanc et ses grosses chaussettes rayées de rouge et de bleu qui venaient mourir juste au-dessus des mollets -, je le revois me faire un autre de ces clins d’œil qui voulait dire : « Tu pourrais pas nous changer un peu la musique ? » Alors, comme à chaque fois que nous laissions derrière nous le pays de neige et le rideau des montagnes, oui, comme à chaque fois que nous roulions vers le stade de la haute-vallée, à l’instant d’avancer mon petit doigt vers une nouvelle KZ, je savais quelle genre de musique choisir. Du rock épais et solide. Du rock largement saturé de guitares épiques. Hendrix presque à coup sur. Les Who, aussi. Parce que, bien sur, ce qui l’attendait sur le terrain…Mais c’est une toute autre histoire.

  • L’aurore s’en est allée

    Je viens juste de m’asseoir au coin du feu - j’avais espéré que le matin viendrait me raconter des histoires comme quand j’étais petit. J’avais cru que... et alors il y a cette scène qui passe et repasse dans ma tête, oui, comme ça en boucle. Cette scène qui défile lentement, une sorte de ralenti somnambulique échappé des vapeurs d’une nuit sans sommeil.

    C’est un lendemain de fête, c’est même un lendemain de réveillon et trois hommes en short - il me semble qu’on dit encore flottant, à l’époque - trois hommes, la petite quarantaine - sans peine je reconnais Pierre, Gilles et puis moi - trois hommes en short et maillot de rugby, donc, se retrouvent au centre d’une place de village - un bourg trapu comme on en trouve au creux des vallées pyrénéennes - une place à peu près déserte à l’exception d’un curieux équipage - s’agit-il d’un homme à mobylette ? N’est-ce pas plutôt une espèce de side-car ? De là où nous nous trouvons, on peine à distinguer la forme de ce qui vers nous s’avance, moins comme une menace qu’une promesse d’inattendu et de rire garanti - mais oui, d’un curieux équipage qui fend la brume et le silence matinal de ce 25 décembre, en hurlant des mots qui sonnent encore dans le lointain comme une suite de braillement d’alcoolique, preuve qu’en voilà un qui a du se divertir toute la nuit à quelques pétarades infernales, où l’on finit par deviner : « La Fraîcheur en Promotion d’honneur ! La Fraîcheur en Promotion d’honneur ! » à mesure que l’espèce de culbuto humain d’une soixantaine d’années, accroché vay que vay au volant d’un triporteur rouge vif, se rapproche. Et cet homme, par ici, tout le monde le connaît.

    « Hé Joke ! Où tu files comme ça ? » Il me semble que c’est Pierre qui finit par l’interpeller alors qu’il passe sans nous voir.

    -Pardi ! Boire la blanquette... chez Nestor. »

    Cet homme, que par ici tout le monde connaît, c’est Jocondo Papini. La gâpette en laine, le pouce et l’index jauni par ses gauloises au goût Maryland qu’il est le seul à fumer dans tout le pays et sinon les pantoufles trouées à chaque orteil et toujours le même survêtement trop court terminé par les grosses chaussettes rouge et blanche qu’il remonte au-dessus du genou pour une raison simple, évidente. « C’est un symbole de mon attachement au club. Ben oui, banane. Ça représente le boulet qu’on s’attache aux chevilles. T’as compris le coup ? »

    Il faisait partie de la bande de vieux bûcherons venus dans les années 50 de Lombardie et que les gens du village appelaient « l’équipe des bergamasque ». Des gars qui vivaient très chichement de la terre et qui, l’hiver venu, partaient « piquer » à la forêt afin d’améliorer un peu l’ordinaire. Je me rappelle combien la tâche de ces forestiers qui travaillaient souvent dans des massifs abrupts - à l’époque les routes forestières étaient rares et les bûcherons s’y rendaient à bicyclette - autant dire en milieu hostile, munis de simples haches et de quelques passe-partouts, oui, je me souviens combien leur tâche était ardue.

    Jocondo Papini dit joke. Autrement dit l’inamovible soigneur de la Fraîcheur, l’équipe qui fédère tout le petit peuple ovale de la vallée. « Un bien joli nom, la Fraîcheur, pour évoquer la jeunesse et le rugby », a coutume de s’extasier, Gilles, le centre au gabarit modeste et à la vivacité de poète, dont la moindre course, la moindre prise d’intervalle, la moindre passe sur un pas faisaient éclore des sourires en forme de fleurs au milieu de l’herbe grave de nos dimanches et, à présent que j’y repense, semblaient n’être faites en ce bas monde que pour mieux tourner en ridicule tous les télescopages bêtes et méchants qui commençaient déjà à voir le jour, par-ci par-là.

    Gilles et Pierre formaient d’ailleurs la paire de centres de la Fraîcheur. Et quelle paire de centres ! Et si je suis assez bien placé pour raconter à quel sommet de grâce et d’élégance évoluait le duo, c’est que j’officiais à l’aile, un poste où échouaient le plus souvent des tas de types aussi efflanqués et véloces que je l’étais, mais il faut bien en convenir, hélas et après tout ma foi, sans grand bagage technique. Et je dois dire qu’à la seule crainte de vendanger ne serait-ce qu’un des innombrables « bons ballons » distillés par ces deux-là, soit d’une passe limpide soit d’un maître coup de pied, suffisait à blanchir mes nuits d’avant match.

    «Et tu crois qu’il l’aura mis au frais à temps, la blanquette, Nestor ? » Et cette fois-ci, je m’en souviens, c’est moi qui souligne à la sauvette d’un reliquat d’ironie - car pour nous autres, aussi, la nuit a été courte - le fait que le fameux Nestor souffrait par intermittence- par avis de tempête et grand vent de troisième mi-temps - d’une curieuse maladie qu’entre nous on nommait : «  l’alcool Alzheimer. »

    Nestor. Rien qu’à son évocation le cœur me saute trois battements. Nestor. De son vrai nom Roger Latreille, Nestor avait débarqué de sa région parisienne natale, il y avait plus de quarante ans, et après s’être également employé dans les rudes travaux forestiers - le surnom des joueurs de la Fraîcheur n’était-il pas « les hommes de la forêt ?- il avait trouvé moyen de faire fortune dans la fabrication de vêtements en cuir et peau. De son usine qui finit par faire vivre la plupart des habitants de la vallée, sortait d’ailleurs le caban en peau lainé frappé de l’emblème de l’Isard que chaque membre de l’équipe avait pour obligation de porter afin d’assurer la promotion déguisée du sponsor principal du club qui en devint assez vite le président.

    Nestor qui, de son propre aveu, « n’y entendait strictement rien au rugby mais voulait seulement « que les gens de la vallée soient heureux » ; Nestor et sa manie de régler les officieuses primes de match en caisses de blanquette de Limoux, ce mousseux qu’il affirmait même préférer au champagne. Nestor...

    « D’où ça lui est venu, déjà, ce surnom, au président Latreille ? » s’interroge Pierre alors que Joke et son triporteur rouge vif ont disparu depuis belle lurette et que nous sommes enfin lancés dans ce décrassage, post réveillon entre anciens, décrété la veille et c’était lors d’un de ces lotos du rugby où nous étions si heureux de ces retrouvailles improvisées. Mais oui, c’était, juste avant le dernier verre pour la route, comme trois quadras à la ceinture abdominale de plus en plus relâchée se jetteraient dans un ultime défi à la mémoire de leurs jambes de vingt ans.

    « C’est pas toi Gilles ? » je lâche d’une haleine sifflante. Promis dès le premier de l’an j’arrête de fumer. « Ah non. Vous pouvez pas me coller ça aussi sur le dos. » Et je revois la foulée de Gilles, ample et déliée, s’ajustant à merveille à la cadence imprimée par Pierre - ne nous a-t-il pas confié, hier soir, qu’il sortait tout juste d’une opération de la hanche ? - lui aussi très facile. Quand je vous parlais de grâce et d’élégance. La côte des espagnols s’annonce et je redoute d’y laisser un rein. Le dernier mot, comme souvent - comme toujours, revient à Pierre. « Ah mais voilà. C’est Sanglier qui l’avait surnommé Nestor. A cause du personnage de Léo Mallet. Ce privé un peu anar. Un peu gavroche. Vous savez. Nestor Burma. » Sanglier ? L’effort me coûte. Je pioche. Et c’est à croire que l’oxygène ne parvient plus à m’irriguer le cerveau. Sanglier ?

    « Mais oui. » Heureusement que mes deux complices sont là pour me rafraîchir la mémoire. L’année prochaine, je jurais solennellement d’éviter le loto du rugby et surtout, oui surtout, la blanquette de Nestor. « Sanglier, ce petit pilier, d’origine italienne lui aussi, tu sais, celui qui ne jurait que par Aldo Gruarin et qui avait tué l’âne de son père d’un seul coup de poing, pan, en plein sur le museau, vexé comme un poux parce que le vieux trouvait plus d’intelligence à l’animal qu’à son rejeton. Sanglier quoi ! »

    Et maintenant que la côte des espagnols s’adoucit un peu, l’image de ce petit homme bourru, amateur de « policiers » comme il disait et de jazz manouche, se précise. Arnaldo Gipponi. Un dingue de chasse - il nous parlait fréquemment du sang noir qui le tourmentait à l’approche de « l’ouverture » - qui dut renoncer à sa passion pour l’amour de la belle Helen, cette anglaise aux cheveux roux incroyables, revenue de Katmandou et du flower power , du moins le prétendait-elle, au volant de son combi Volkswagen mauve avec quoi elle faisait de temps à autre le taxi d’une vallée à l’autre. Il me semble qu’ils ont fini par monter un des premiers centres équestres de la région qui proposaient des randonnées…à dos d’âne...ou bien ?

    Je viens juste de m’asseoir au coin du feu - j’avais espéré que le matin viendrait me raconter des histoires comme quand j’étais petit. J’avais cru que... et alors il y a cette scène qui passe et repasse dans ma tête, oui, comme ça en boucle. Cette scène qui défile lentement, une sorte de ralenti somnambulique échappé des vapeurs d’une nuit sans sommeil. C’est un lendemain de fête, c’est même un lendemain de loto du rugby et de réveillon et trois hommes en short - à l’époque, il me semble qu’on dit encore « flottant » - trois hommes, la petite quarantaine - sans peine je reconnais Pierre, Gilles et moi ; trois hommes en short et maillot de rugby, donc, se retrouvent au centre d’une place de village avec dans l’idée de faire un «léger footing de décrassage entre anciens ».

    Il me semble que l’aurore s’en est allée, ça fait bien longtemps, mais je me demande encore qui de Pierre ou de Gilles a eu, ce matin-là, la bonne idée de pousser jusqu’à chez Nestor...« manière de nous faire payer un coup de blanquette. »

  • D'un vieil ours surpris en train de penser comme une écrevisse

    Le jour baisse. C'est comme ça. Je textote un « je t'aime » à la fille qui partage désormais ma vie. Deux-trois courses à faire. Une semaine que...Alors, ce soir : quelques verres, les yeux rougis de nos clopes et ce face à face des amoureux qui hésitent à prononcer les mots décisifs de peur qu'ils ne s'effacent. Le manque a ceci de particulier qu'il creuse une sorte de trou très loin au fond de l'estomac et rien que de sentir, déjà, vos lèvres qui s'appointent, rien que ça...

    Je tousse gras – les derniers assauts héroïques d'une crève chopée à force de faire les cent pas dans cette cour d'école où j'ordonne, comme je peux, le chaos d'une bande de gamins trop mal élevés pour être crédibles - j'enfile le vieux k-way de maman – il lui arrive encore « d'aller aux champignons », dans ce pays de montagnes assez loin d'ici. Le fond des poches est tapissé d'un odeur de thym sec – et puis je jette un œil par la fenêtre. Paris pleure. Ou alors c'est juste un peu trop de pluie.

    Une fin d'après-midi au milieu de l'hiver. Plus beaucoup d'ambition à part que j'aimerais, cette fois, quitter l'appartement familial le plus discrètement possible. Mais c'est sans compter sur cette série de mauvais bruitages de clé et de verrou. Et puis, après tout, ce sont les maladresses qui vous font et vous défont. Et puis, après tout, une vieille porte blindée a toujours quelque chose à dire quand on la quitte sans prévenir. La voisine aussi. A son regard perdu – tout ce qui peut tracasser un œil est au moins aussi parlant que la rumeur, pleine de reproches, d'une clenche qui grince – oui à ce regard perdu entre trois lessives en retard et les yeux sombres de ce garçon qui, là bien sûr j'extrapole, commence sans doute à se lasser de n'être qu'un plan cul en garde alternée – les trousseaux lorsqu'ils vous glissent des mains, la porte qu'on voudrait retenir mais qui finit par claquer, ça raconte le genre d'histoire que l'autre, assoupi derrière, n'a pas forcément envie d'entendre -, oui à son regard de noyée que j'intercepte à la sauvette, je suppose que son fils a encore dû lui donner beaucoup de fil à retordre.

    " Salut. Alors ça a fini par gagner, votre match ?" me demande-elle, par politesse. On ne se connait pas plus que ça. Depuis que je suis revenu vivre ici, on a pris l'habitude de se reconnaître entre deux portes. C'est tout.

    - Oui. Difficilement mais ils ont gagné. J'espère que je ne vous ai pas trop dérangée. Parfois je m'emporte un peu, vous savez, devant le rugby.

    - Oh je n'y connais rien au rugby. Et pas sûre que ça m’intéresse. C'était quoi, aujourd'hui ? Quelque chose comme un match hyper important, c'est ça ?

    - Quelque chose comme un France-Angleterre. Et c'était aussi peu important que les rêves qu'on fait dans la jeunesse. Mais à chaque fois, pourtant, je me laisse prendre.

    -De toute façon, je n'ai pas levé le nez d'une montagne de paperasses. Alors un peu d'animation...C'est trop calme ici, les weeks-ends. Ils partent tous. On dirait un vieux dimanche.

    Pourquoi reste-t-on figés, elle et moi, nos portes trop lourdes qui tardent à refermer le chapitre d'une après-midi qu'un excès de romantisme adolescent a fini d'épuiser, il y a longtemps ?

    - Bon, je file... me dit-elle, parce que finir une conversation sur des points de suspension, c'est encore faire trop d'honneur à la mélancolie. Alors, une conversation qui n'a jamais eu l'intention d'en être une...

    Oui, son fils a dû lui causer un peu plus de soucis que d'habitude. Bref. Les tracas ordinaires d'une maman solo toujours entre deux rendez-vous professionnels, et toujours cette soif féroce d'indépendance et toujours l'entraînement de basket de son « petit poulet » qu'elle ne raterait pour rien au monde, même au-delà des fatigues. Et toujours le match du dimanche matin où elle filtre ses encouragements d'un placenta d'amour. Même si, parfois, il lui arrive de ne plus tenir en place. Alors elle tape des pieds et des mains en cadence pour éviter de donner de la voix, de peur que ça le dérange, lui « mette la honte. »

    Et dans ses yeux, ce petits tas de « même si», vraiment pour tout le monde, ça vaudrait, en temps « normal », pour autant de « je t'aime » écrit en lettres majuscules. D'ailleurs, au point où j'en suis, j'imagine qu'il n'y a qu'à lui et à lui seul qu'elle parvient encore à dire ces mots-là. « Je t'aime. » Mais le monde n'en a absolument rien à foutre d'une maman qui, par la farce des choses, a appris à tout maîtriser – émotions comprises - à tout compartimenter dans les cases savantes de son cerveau où il suffirait de se fier à une certaine magie du rangement pour éviter de trop souffrir. Et puis, après tout, « en temps normal », ça n'existe pas.

    Oui, voilà. Et toujours regarder « son petit poulet » se faire avaler, comme à marée montante, par l'ascenseur du lundi matin qui l'emporte, d'abord vers le collège, plus tard chez son papa auquel il aimerait tant pouvoir ressembler, comme ça, de temps à autres. Mais à quoi ça peut bien ressembler un père ? Une maman solo, en vrai, j'ignore ce que c'est. Alors un père, même de temps à autres...Et puis, après tout, dans la vie tout ce qu'on sait, c'est qu'on ne sait pas.

    Le jour baisse. C'est comme ça. Dans la rue où j'ai l'air d'un vieil ours surpris en train de penser comme une écrevisse,  je textote un énième« je t'aime » à la fille qui... sans attendre de réponse. Arrive toujours ce moment où il y a des mots qu'on ne peut plus dire...