Du rugby et des histoires...(des histoires et du rugby...)2022-10-26T14:52:20+02:00All Rights Reserved blogSpiritHautetforthttp://durugby.hautetfort.com/rugbymanehttp://durugby.hautetfort.com/about.htmlTrois débuts d'histoires minuscules et quelques points de suturetag:durugby.hautetfort.com,2021-04-14:63095532021-04-14T07:50:18+02:002021-04-14T07:50:18+02:00 Au rugby, comme ailleurs, il faut bien un début. Quelques accidents...
<img src="https://size.blogspirit.net/hautetfort.com/durugby/600/media/00/02/815200025.jpg" alt=""/><div class="kvgmc6g5 cxmmr5t8 oygrvhab hcukyx3x c1et5uql ii04i59q"><div dir="auto"><p><strong>Au rugby, comme ailleurs, il faut bien un début. Quelques accidents de parcours. Et des souvenirs, à la fin. </strong></p><p> </p><p><span style="color: #1d2129;"><span style="font-family: Helvetica, serif;"><em>Un jour, me dit-il, ce moment où tu sais que tu as raté ta vie est arrivé. Et puis, il a plus voulu repartir...</em></span></span></p><p><span style="color: #1d2129;"><span style="font-family: Helvetica, serif;">Il avait fini par trouver un air de western au rugby. N’était-ce pas cela qui l’avait tout de suite attiré ? Sur toutes ces pelouse polies comme des râpes, et d’où qu’on regarde les choses, de solides gaillards - certains avaient, certes, des façons plus romantiques que les autres - paraissaient y consumer les dernières forces de la jeunesse, rien qu’entre eux et sans modération, l’air de se dire que les absentes, décidément, auraient toujours tort. Mais dans son for intérieur, où tout n’était que verve dans les cuisses et parfois, aussi, ce sentiment malsain de toute puissance, oui, aussi - quelques regards perçus de travers suffisaient à mettre le feu aux poudre et un poing venait, deux actions plus tard, embrouiller un sourire trop innocent pour être tout à fait honnête - dans son for intérieur, donc, il savait, avait presque toujours su, que ses batailles se livraient sans doute dans le but de décrocher le sourire de quelqu’une, sinon au moins pour retenir en passant l’attention de la fille de l’entraîneur. Ou celle du bar-tabac. Et sur ce point, il n’en démordrait jamais. Dans le fond, répétait-il, ses sourires d’après match crispés au bord d’un verre, Elles c’étaient Nous. Et Elles avaient toutes, plus ou moins, les manières de la Claudia Cardinale d</span></span><span style="color: #1d2129;"><span style="font-family: Helvetica, serif;"><em>’Il était une fois dans l’Ouest</em></span></span><span style="color: #1d2129;"><span style="font-family: Helvetica, serif;">…</span></span></p><p> </p><p><span style="color: #1d2129;"><span style="font-family: Helvetica, serif;"><em>Ensuite, me dit-il, il y a eu ce vent qui vous piquait les joues comme un sourire forcé d'infirmière malmenant son chariot...</em></span></span></p><p><span style="color: #1d2129;"><span style="font-family: Helvetica, serif;">C’est à peine s’il eut le temps d’escamoter son portable sous les draps du lit d’hôpital où il se remettait d’un triple pontage. Le chirurgien de la clinique des Cèdres était déjà à son chevet, flanqué de deux infirmières assez mignonnes pour faire naître chez lui un début de démangeaison dans une zone située en principe aux antipodes de ses préoccupations du moment. Mais d’abord, ne pas oublier son état. Tenir à distance le surcroît d’émotion qui l’avait submergé en lisant le sms. L’équipe avait réalisé une belle entame de match. Et pour une foutue bonne nouvelle…Restait à espérer qu’elle parvienne maintenant à mettre sa patte sur la rencontre. Et, allez savoir, qu’elle se défasse enfin d’un adversaire pourtant réputé coriace. Qu’elle n’était du reste jamais parvenue à battre, même sous ses ordres à lui, « le capitaine emblématique pleuré par tout un peuple », tel que ça s’était écrit, ici et là, dans toutes les gazettes sportives du pays. Ici et là où, d’abord son accident cardio-vasculaire, puis la confirmation de son retrait définitif des terrains, avaient été unanimement vécus comme un mauvais présage. Celui d’une défaite annoncée. Comme si dans ce sport éminemment collectif, un seul être pouvait venir à manquer… </span></span></p><p> </p><p><span style="color: #1d2129;"><span style="font-family: Helvetica, serif;"><em>Y-a-t-il une place, me dit-il, pour la gloire matérielle après tous ces voyages initiatiques sur le rebord de la cheminée...</em></span></span></p><p><span style="color: #1d2129;"><span style="font-family: Helvetica, serif;">C’était l’époque où Papa m’expliquait comment, avant chaque rencontre, certains se frottaient tout le corps au gant de crin après s’être largement badigeonnés de Dolpic, une pommade couleur rouille précisait-il - mais disait-il seulement vrai…Lorsque vous êtes sur l’âge, probable que vous mélangiez un peu les couleurs. Oui. Possible - une pommade capable de vous dégripper un grand-père « en deux-deux. » On y apprenait le nom de villes quasiment inconnues jusqu’alors…Boucau, Tyrosse, Condom, Le Creusot, Montchanin…Et tous ces endroits vivaient encore au rythme des derbys sanglants. Et la foule se pressait, le temps d’un après-midi, dans les coulisses d’un petit centre horticole assez étrange - deux hauts mats aux allures de potence - des potences en forme de h majuscule - en délimitaient de part et d’autre les contours - se délectant par avance d’un spectacle qui verrait sous peu la jeunesse locale s’engluer dans les boues glaciales des dimanches. Ces cités - on n’en entendait jamais parler. Ailleurs. Et bientôt on n’en parlerait plus jamais. Après - on ne concevait d’y vivre qu’à condition que l’existence aille vite et soit à peine plus courte qu’un short… » </span></span></p><p> </p><p><span style="color: #1d2129;"><span style="font-family: Helvetica, serif;">Benoit Jeantet</span></span></p></div></div><div class="o9v6fnle cxmmr5t8 oygrvhab hcukyx3x c1et5uql ii04i59q"> </div>
rugbymanehttp://durugby.hautetfort.com/about.htmlLe ciel a des jambestag:durugby.hautetfort.com,2021-04-11:63089442021-04-11T07:53:17+02:002021-04-11T07:53:17+02:00 J’ai dû louper un épisode. Et, réflexion faite, peut-être même...
<img src="https://size.blogspirit.net/hautetfort.com/durugby/600/media/00/02/1789946883.jpg" alt=""/><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Tahoma, sans-serif;"><span style="font-size: medium;">J’ai dû louper un épisode. Et, réflexion faite, peut-être même l’intégralité de la série. En me réveillant - en caleçon et en chemise et ma chemise, froissée, poisseuse, empeste plus fort qu’un mini bar - dans cette chambre que je ne reconnais pas, oh mais pas du tout, j’ai beau tenter de rassembler mes souvenirs à la sauvette, peine perdue, rien qui me revienne hormis quelques bribes. Débris de discussions animées d’où ressortent, ça et là, quelques adjectifs sauvages. Lambeaux d’une fête qui a probablement pris racine sur un autre versant du monde, là où l’on feint sciemment d’ignorer que sur les fleurs bleues poussent aussi les épines, prendre racine aux premiers temps de la nuit, avant de finir par se diluer, comme le gros sel ou le narcissisme, dans un verre d’eau, une eau aussi plate que le plat de la main du petit jour quand il aimerait vous caresser avec des reliquats de tendresse, mais voilà, il se heurte à une peau soudain très froide, parce que non, vous n’êtes pas là pour être aimé. Non. Pas encore. Pas cette fois. </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Tahoma, sans-serif;"><span style="font-size: medium;">Le temps qu’ils s’acclimatent à l’obscurité de la pièce, mes yeux se lancent dans un lent - très lent. Ils me piquent un peu. Et rien qu’à la façon intermittente et nerveuse dont s’agitent mes paupières, déjà je redoute le pire - dans un lent, très lent état des lieux. Dans un coin, remisé sous ce que j’ai d’abord pris pour une simple table mais qui, une fois que j’ai mieux réglé le cadre et poussé plus loin mon exploration, s’avère en définitive être un bureau, remisé là-dessous, mon sac de sports - le vieux sac hérité de mon père - baille aux corneilles, le cuir marronnasse fatigué, l’allure d’une grosse chenille qui progresse sur une pelouse à la verdeur dépréciée par la sécheresse et les poussières. J’aimerais repousser la couette et si possible avec un geste ample et élégant, mais j’ai peur que le froid me cueille par surprise d’un méchant crochet au foie. Le foie - mon foie - justement me pèse plus que le monde en son entier. Pareil pour ma langue. Et ma tête, pas mieux. Au prix de vaines et pathétiques contorsions d’équilibriste, finalement je finis par m’extirper du lit en forme de tombe du rugbyman inconnu, tombé aux champs du déshonneur et de la connerie hétéro-beauf, un samedi soir sur la terre comme il en existe mille quand certaines phrases vous reviennent si près du précipice et que vous savez, dès lors, que vos jambes mourront avant elles. Ce lit où nul besoin d’être un expert de la police scientifique pour comprendre que j’ai bien failli y suer ma fièvre éthylique, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ce lit dont je jurerais à présent qu’il bouge, mais oui, comme s’il s’était subitement mis à tanguer telle une barque ballottée par l’onde d’une marée naissante. Oh mon dieu, avec qui et de quelle manière glorieuse ai-je pu atterrir là ? Avec qui, car forcément je ne me suis pas couché tout seul dans ce lit beaucoup trop grand pour que...A peine le temps de commencer à me triturer les méninges, que déjà une crampe, assez violente, me cisaille l’estomac. </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Tahoma, sans-serif;"><span style="font-size: medium;">J’avise une petite porte nichée dans le mur gauche de la chambre et si c’était… Oui, par chance la porte débouche bien sur un petit cabinet de toilettes. Le contact avec la porcelaine me ramène à la réalité. Oulàlàlà ... puisque tout indique que je vais devoir tenir ma position un assez long moment, j’en profite pour creuser enfin dans ma mémoire immédiate. Et tout d’abord quoi hier soir ? Comment hier soir ? Avec qui hier soir ? Oui, si je commençais par tenter de répondre à ces questions. Alors, voyons voir, si le temps que mes souvenirs achèvent de grimper jusqu’au sommet de mon crâne, voyons voir si tout ça me revient. Hier soir, jeudi soir donc, j’étais du coté du Fort d’Aubervilliers, à Pantin, pour le dernier entraînement de la semaine. Quand je suis arrivé, les autres terminaient leur quatrième tour de terrain, j’accusais plus d’une demi-heure de retard et Patrice, notre capitaine - au club, tout le monde l’appelle « le Buffle ». Un numéro huit qui a « des mains », comme on dit, mais qui n’hésite pas à monter « dans la cage » si le besoin s’en fait sentir. Une lointaine ressemblance avec Spencer Tracy qui me rappelle un peu mon père. Et cet inimitable accent des faubourgs, cette gouaille qui me le rend infiniment plus sympathique que le « vieux ». Mais c’est une autre histoire - et Patrice m’a lancé d’un air goguenard « Freddy, t’oublieras pas de passer à la caisse. » Comprendre : dès la sortie des vestiaires, je leur devrai, à tous, une tournée générale. Et puisque, chaque jeudi, nous avons l’habitude de nous retrouver à L’étoile de Tiznit, notre siège social officieux, à savoir la brasserie située juste en face du stade - « Un stade de rugby sans bistrot à proximité, c’est pas un vrai stade, moi je dis que c’est pire qu’un club de fitness », a coutume de répéter Patrice -, pour le repas - généralement un couscous - que nous prenons en commun, oui, impossible ce coup-ci de décaler ma dette. </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Tahoma, sans-serif;"><span style="font-size: medium;">Je viens d’arriver au club, et j’avoue que si j’apprécie son ambiance dans l’ensemble assez familiale, j’ai un peu de mal avec quelques uns de mes coéquipiers. Beaucoup de mal avec l’un d’entre eux en particulier. L’un de nos secondes lignes, Hervé. Bien sûr, je n’ignore pas que dans une équipe de rugby, on a besoin de tout le monde. Et ce simple postulat de base, bien sûr, est à peu près su de tous. Bien sûr. De même que toutes les sensibilités s’y côtoient et que de ce brassage naît très souvent un autre rapport au monde et aux êtres. De me frotter le cuir à toutes ces différences, en dehors des terrains, je suis même le premier à dire que j’en ai besoin et il n’y aurait pas à me pousser tellement pour que je milite pour l’extension de ce modèle, assez unique d’ailleurs, dans notre quotidien, où, sur ce point je ne pense pas exagérer du tout et même en résumant les choses à gros traits, le formatage règne, un peu partout et de plus en plus, en maître, oui, où une sorte de consensus mou semble la règle. Rien qui ne doive dépasser de trop, et cette impression de ne plus se côtoyer qu’entre clones, impression que je ressens, de temps à autres, dans le strict cadre professionnel où dès qu’il s’agit d’aller boire un verre, à l’occasion, par exemple, d’un pot de départ, d’un bon chiffre d’affaires à fêter des fois que, nous nous pressons toujours dans des endroits uniquement fréquentés par nos semblables. Voilà pour le cours de sociologie pour les nuls d’un jeune gandin brocardant à la va vite une société, selon lui, de moins en moins versée dans l’humanisme. Un peu rapide, certes, j’en conviens. </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Tahoma, sans-serif;"><span style="font-size: medium;">Quoiqu’il en soit, avec Hervé, en revanche, oui j’ai vraiment du mal. Du mal surtout à comprendre comment, un homme tel que Patrice, l’image parfaite du type bien, l’image qu’en dehors de l’intimité d’une équipe, tout un chacun peut se faire d’un véritable gentleman du rugby, comment notre capitaine au long cours ait pu faire de cette grosse nouille d’Hervé son lieutenant. Du mal avec ses vannes toujours vaguement foireuses et, pour tout dire, extrêmement « limites. » Celle dont il use et abuse, par exemple, chaque jeudi soir, comme ça, invariablement, quand Akli, le proprio de l’Étoile de Tiznit, nous apporte le plateau de charcuterie. « Hé Kiki ! Putain c’est pas parce que tu manges pas de porc que t’es obligé de nous faire les tranches de saucisson comme des roues de charrette. » Pfff…et des tas de trucs à l’avenant, comme ça, invariablement, d’une souplesse de char. La première fois que je l’ai entendu débiter ce genre de conneries, ni une ni deux, je l’ai repris de volée. Une dispute assez violente s’en est suivie. Après l’avoir copieusement traité de « gros con raciste », j’ai eu droit en retour à « jeune trou du cul prétentieux. » à « Dandy à la noix. » et j’y ai gagné le surnom à vie de « Brummell. » Brummell ? « Ben ouais banane, tu sais pas qui c’est, je parie, hein. Un dandy, voilà qui était Brummell, rigolo de cirque, va ! Ah c’est qui le plus con des deux maintenant ? » Patrice a été obligé d’arbitrer séance tenante notre petit concours d’éloquence et plus tard, il m’a pris à part pour me faire gentiment la leçon. « Écoute, Hervé et toi, vous n’avez sans doute pas grand-chose en commun, soit. Mais de la à le traiter de raciste, tu abuses un peu non ? »</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Tahoma, sans-serif;"><span style="font-size: medium;">Je n’avais pas l’impression d’abuser. Du tout du tout. Et avant que les digestifs ne viennent tenter d’effacer l’ardoise de notre contentieux, Djibril s’en est mêlé. « Tu sais, Hervé, il est ce qu’il est. Mais il n’est ni mieux ni pire que nous, tu piges ? Il essaye d’être drôle et ça tombe souvent à coté. Ouais j’avoue, souvent il en met pas une dans le panier. N’empêche que moi, au moins, je sais ce que je lui dois. Sans lui, tu penses que je pourrais jouer les filles de l’air, chiper avec autant d’insouciance tous ces ballons aux alignements adverses ? En touche, ok, je règne mais c’est parce « qu’en bas », c’est le domaine d’Hervé. Me dis pas que t’oserais avancer un pied là où lui n’hésite pas à mettre la tête. Et puis quoi ? Putain t’es qui, mec, après tout, pour lui faire la morale. On joue ensemble et puis basta. Où est-ce que t’as vu qu’on devait s’aimer à la folie après ? Z’étes pas non plus obligés de passer la nuit ensemble. » Ah non, ça ne risquait pas d’arriver et Djibril le savait pertinemment. Il était même plutôt bien placé pour le savoir. Nos nuits d’après entraînements ( ou d’après matchs surtout ), le plus souvent nous les passions ensemble. Djibril, c’était devenu mon ami. Mon pote. Mon presque frère. « Ouais, ça on aurait pu. Sauf que toi t’as grandi dans un bel immeuble de l’ouest parisien. Avec ces belles et grandes portes majestueuses exprès pour y faire passer des calèches, quand, chez moi, disons qu’on a plutôt aplati les perspectives à l’horizontale, tu vois. » </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Tahoma, sans-serif;"><span style="font-size: medium;">Oui, Djibril et moi nous nous situons aux deux extrémités de l’échelle. Je me suis juste donné la peine de naître, ma famille ne m’a jamais demandé de faire des projets et tout le monde me fout d’ailleurs d’une paix royale. Je bosse comme « créa » dans une boite de pub appartenant à l’un de mes oncles et il a suffi d’un simple coup de fil pour que j’y entre. En guise d’entretien d’embauche, on s’était contenté de me sonder sur le poste qui, éventuellement, m’aurait plu. « Créa » donc. Djibril, lui, a dû se coltiner l’ascenseur social - à la seule différence, notable, qu’il partait du cinquième sous-sol - et par chez lui, il faut bien admettre qu’il est souvent en panne, l’ascenseur. Je l’admire, entre autres, pour ça. Il a fait les beaux Arts, peint encore à ces heures - « l’exutoire idéal mec »- et commence à faire son trou dans le domaine de la musique électro. J’ai la petite vingtaine et ce truc-là, la musique Pop électrifiée ou pas, j’avoue, a toujours été ma danseuse. Tous les deux, nous avons même le projet de monter un label. Je compte jouer les capital risker et mettre tout mon réseau à son service. L’idée a germé, une nuit, après qu’il ait « joué » dans une petite salle de concert prisée par toute l’intelligentsia, et que nous buvions un verre –« en long drink frangin »- accoudés au bar en acajou d’un de ces grands hôtels parisiens où j’ai toujours aimé faire en sorte que la nuit s’étire dans le petit luxe, parfois un peu triste, des bonnes manières. </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Tahoma, sans-serif;"><span style="font-size: medium;">La première fois que je l’y ai traîné, Djibril, le troisième ligne coté ouvert, pourtant en passe de se voir intronisé par toute le hype fashion « nouveau roi des nuits parisiennes », a eu ce mouvement de recul, un imperceptible petit mouvement des épaules, comme ça, tout léger, vers l’arrière, comme si, au moment de se relever d’un plaquage, tout à coup il voyait fondre sur lui un bon vieux pack de percherons en colère. « Non mais tu déconnes là ?! J’ai pas ma place dans ce... C’est pas un endroit pour moi. Oh Brummell, Hervé a pas tort, en fait, tu pètes grave dans la soie, mec. » La référence expresse au seconde ligne que vous savez, aurait pu-aurait du me froisser. Mais non.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Tahoma, sans-serif;"><span style="font-size: medium;">« Je ne vois pas où est le problème. Je te suis dans ton périple de night- clubber où je n’avais pas forcément grand-chose à faire et tu refuserais de m’accompagner dans mes repaires secrets…tu peux me croire, on est bien partout. Tout dépend avec qui. Allez, rajuste ton blazer, serre tes lacets et suis-moi. » Et il m’avait suivi. Son élégance naturelle avait fait le reste. A peine avait-il pris place sur l’un des tabourets qu’il semblait déjà faire partie des meubles. </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Tahoma, sans-serif;"><span style="font-size: medium;">Et oui, hier, puisque, comme chaque jeudi soir, après l’entraînement et le repas pris avec les membres de l’équipe, il est dans nos habitudes de nous éclipser à l’anglaise - les autres filent, soit au lit - beaucoup sont en couple, avec femmes et enfants - soit dans cette boite « impossible pour flics en rupture de ban, secrétaires pas farouches et rugbymen désireux de rejouer le match éternel bien à l’abri de la répression de l’ivresse publique », un univers en vase clos au goût de sueur et d’alcool trop épais, un coté marquis de Sade en version Sapeur Camembert que je n’aime pas, peu de le dire, ce qui, là encore, m’attire souvent les reproches de la plupart de mes coéquipiers et de Patrice, le « buffle, surtout « t’es vraiment un poil prétentieux, Hervé a pas tout faux. Djibril y passe bien, lui, quelquefois. Mais toi, non, rien à faire. C’est bien d’avoir confiance en soi, Freddy. Ça peut même devenir une sacrée force mais quand ça vous entraîne sur le terrain glissant du mépris… », oui je suis peut-être…mais bon. Bref. – hier soir, comme chaque jeudi soir, donc, j’avais suivi mon pote dans ce club au décor baroque- « le Silencio », un endroit idéal pour tous les jeunes gens modernes désireux de collectionner les volcans et les crépuscules en oubliant un peu qui ils sont- et puis nous avions cette fois terminé la soirée au bar de ce palace qui vient tout juste d’être refait à neuf. Le Meurisse… </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Tahoma, sans-serif;"><span style="font-size: medium;">Assis sur cette cuvette, froide et par trop impersonnelle, voilà, le déroulé des événements de la veille repasse maintenant au ralenti dans ma tête toujours aussi lourde et bancale. Djibril, fidèle à ses convictions et aux promesses qui « l’engagent vis-à-vis des autres joueurs de l’équipe. Ma deuxième famille » essayait à nouveau de me persuader de le suivre jusqu’à cette fameuse « boite impossible où on boit juste un coup avec les gars et puis on se casse. Allez, mais putain où sont tes grands principes, Brummell ? », oui, Djibril était sur le point de partir quand une fille - belle brune avec un petit nez au retroussé piquant -, une ancienne de l’école de commerce où j’ai fait mes études, est arrivée, aussi belle et troublante qu’un cheveu d’ange qui viendrait vous frôler la joue en voulant vous prévenir que cet été, gare, il se pourrait que la tristesse ne soit qu’à une courte portée de jupe. Et cette fille, tout à coup, je la voulais. Je la voulais tellement que je me suis aussitôt mis en tête de commander une bouteille de champagne - du Ruinart. Mon champagne de soif préféré. « Reste avec nous boire une coupe, Djibril» - et la suite… non, j’ai beau…je ne sais plus. A part que la fille - cette fille que je voulais tellement - n’a pas dû mordre à la feinte éculée de mon grand numéro de charme, puisque…ahem…je me souviens aussi de mon air hagard, torve et perdu et surtout du ton de propriétaire avec lequel j’ai commandé « deux scotchs. S’il vous plaît ! Avec la glace à part si ce n’est pas trop vous demander. » Et après c’est tout…Le trou noir. Black out total. </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Tahoma, sans-serif;"><span style="font-size: medium;">En sortant des toilettes avec les mêmes précautions de funambule essayant de faire sécher une gueule de bois sur son fil, j’ai voulu en avoir le cœur net. Je me suis traîné en chaussettes- j’avais aussi dormi en chaussettes. Décidément !- jusqu’à la fenêtre, l’air d’un crapaud sur une boite d’allumettes, et puis j’ai ouvert en grand les volets de la chambre. L’image d’un chat a commencé par flotter au-dessus de ma tête. Au loin, une rumeur lancinante et saccadée. Je me suis alors fait cette réflexion complètement idiote : l’arrosage automatique pèse sur les sciences sociales quand nos destins meurent de soif. Mes mains, dont je me suis demandé à quel moment elles voudraient bien arrêter de trembler, agrippées au balcon, j’ai regardé en silence la jolie cour intérieure qui allait donc servir de décor d’ensemble à ma migraine. La lumière était douce. Une lumière comme il y en a, vous savez, après une averse. Et c’est d’abord le fumet assez lourd d’une grillade qui a achevé de me sortir du semi coma où mon regard titubait entre deux flaques. Et puis la voix d’une petite fille - oh mais mon dieu, qu’est-ce que j’avais fait ! Et au bras de qui avais-je bien pu rentrer… probablement à quatre pattes ?- cette petite voix... « salut, monsieur. T’as vu, le ciel a des jambes. » </span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Tahoma, sans-serif;"><span style="font-size: medium;">C’est alors que la porte de la chambre s’est ouverte d’un coup sec. J’ai d’abord cru à un courant d’air. Au lieu de quoi, en me retournant un peu en panique, j’ai aperçu, Djibril hilare…aux cotés d’Hervé…Oh non, tout, mais pas ça…Hervé qui s’est contenté de m’ausculter du regard, avant de me lancer, en outrant de manière délibérée sa dégaine d’homme des cavernes et en forçant sur son ton rieur gras habitue. « Allez Brummell, active un peu la machine, ma femme nous attend pour le barbecue. Te mine pas, elle t’en veut presque plus pour le poisson rouge de la gamine avec quoi tu t’es fait un sushi. J’espère que t’as eu la bonne idée de faire comme nous, hein, et que t’as posé ta journée. Ah au fait, Djibril me dit que tu ronfles, ah mon cochon. Ça, en plus de ton arrivée en fanfare dans la boite, hier soir, m’est avis qu’il va y avoir de belles pièces à verser au dossier. »</span></span></p><p align="JUSTIFY"> </p><p align="JUSTIFY"><span style="font-family: Tahoma, sans-serif;"><span style="font-size: medium;">Benoit Jeantet</span></span></p>
rugbymanehttp://durugby.hautetfort.com/about.htmlAux premières logestag:durugby.hautetfort.com,2020-12-28:62869922020-12-28T15:20:10+01:002020-12-28T15:20:10+01:00 « Oh, moi vous savez, je tombe amoureuse et puis je me relève »,...
<img src="https://size.blogspirit.net/hautetfort.com/durugby/600/media/00/02/3447786819.jpg" alt=""/><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">« Oh, moi vous savez, je tombe amoureuse et puis je me relève », dit-elle à mon voisin, un jeune joueur encore convalescent - il a beau bomber le torse, j’ai bien remarqué qu’à chaque pas ses traits se crispaient un peu, son visage se voilait légèrement. Et cette grimace fantôme réprimée en fermant les yeux, comme ça, une demie seconde à peine mais tout est là, tout est dit. Le rugby s’amuse, blessure après blessure, à éprouver votre sentiment d’appartenance - ne s’agit-il pas, au fond, de cette part de sacré qui relierait tous ces jeunes gens modernes à une certaine esthétique de la jeunesse ? Et c’est presque inconsciemment qu’ils chercheraient, dès lors, à percer le mystère de l’existence, laissant libre court, êtres bons par nature ou mauvais faute de mieux, après tout qu’importe, à ces penchants sadomasochistes par où ils finiront bien par apprendre à brider leurs passions. Et puis l’injustice… - et s’il prend un malin plaisir à vous marquer les chairs, c’est encore et toujours la même histoire de désir et de manque. Toujours cette affaire de souffrance et de plaisir intimement liés – oui, un jeune joueur en convalescence que le club, comme c’est devenu l’usage, a envoyé ce jour en loge présidentielle - «…avec vue panoramique...l’ouverture de votre espace 1h30 avant le coup d’envoi… cocktail haut de gamme...un open bar champagne, vin, bière et softs…service en continu…un écran TV privatif…la feuille de match officielle à disposition…un cadeau exclusif offert...rencontre privilégiée avec les joueurs en avant-match…une place de parking pour 3…- dans le cadre des prestations d’hospitalité auprès des partenaires… </span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">« Jeune homme, il me semble que votre cravate est mal nouée… » Elle a dit ça en minaudant juste ce qu’il faut, l’air de penser « je sais votre âge, mon garçon, je connais les images séminales qui ont enfiévré les meilleurs esprits de votre génération » Un ton aimable mais sans appel. Peut-être aura-t-il l’occasion de recroiser cette femme ? Elle ressemble à l’une de ces brunes du sud rencontrées, dans une vie antérieure, au détour d’une nouvelle de Francis Scott Fitzgerald. Cette façon de battre les cils avec un surcroît de nonchalance. Quelque chose d’altier dans la voix. Un petit nez au retroussé piquant, aussi, comme une rupture de ton avec son allure d’ensemble. Elle tire négligemment une Vogue Pastel d’un étui en cuir marron… et puis la flamme pale d’un petit briquet en argent qu’elle porte à ses lèvres, avant de se raviser… de ramener ses cheveux sur l’arrière d’un geste gracieux à ne pas croire…mais déjà le maître d’hôtel discrètement lui indique la terrasse qui jouxte la loge… il lui ouvre la porte, un froid piquant s’engouffre en même temps que la rumeur courroucée de l’enceinte - sur l’écran plaqué au mur du salon défilent plusieurs ralentis. Y’aurait-il une raison de ne pas accorder l’essai ? - et la voilà qui rabat son étole sur sa poitrine avant de rejoindre ceux que l’appel du champagne et les turpitudes boueuses de ce match d’hiver n’ont pas réussi à chasser de leurs sièges…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Pivotant d’un air boudeur en direction du même maître d’hôtel, le gamin en phase de reprise pioche une coupe, manquant faire valdinguer le plateau aux quatre diables, avant de se diriger vers un groupe de quadras en costumes et cravates club, tous visiblement ravis par la perspective de partager avec lui leurs impressions sur le match en cours. L’approche de la mi-temps a fini par libérer la parole. Dans l’ensemble, ils sont déçus, c’est du moins ce que je crois comprendre, déçus par cette rencontre, « sans saveur. » Mais peu importe, s’exclame l’un d’eux, « ça sent bon ! » Celui-là, visage empâté sous une épaisse tignasse poivre et sel de vieux beau ordinaire, est catégorique. « On va gagner. Leur mêlée ne tient plus en l’air. Sur la dernière, vous avez vu comme leur droitier a refusé la poussée !» Il sait de quoi il parle. Il a joué. « oh pas à votre niveau, mon jeune ami. En corpo. Mais en minimes j’ai eu la chance de côtoyé de futurs grands noms. Tenez, ce troisième ligne qui a porté le maillot tricolore à plusieurs reprises. Comment s’appelle-t- il... Mais oui, vous ne connaissez que lui…Aidez moi…» Et donc de bonne grâce le gamin trinque. </span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Après tout, il est d’abord ici pour ça. Pour faire le métier puisqu’il se destine à la carrière de rugbyman professionnel. Et que cela implique de n’être parfois qu’un emplacement publicitaire à louer, il va devoir s’y habituer. Poliment il écoute tous ces avis de « grands techniciens. » Finit même par accepter qu’on aille lui chercher - « discrètement, hein, des fois que l’œil de Moscou…» - une nouvelle coupe. Et donc trinque à nouveau. « Dites-moi, votre petite merveille Fidjienne traîne un peu la patte ces temps-ci, qu’en pensez-vous ?» L’homme qui l’interpelle cette fois est petit, n’a jamais pratiqué à son grand regret, mais il fait beaucoup de sport - « je cours presque trois fois par semaine. J’avais presque un bon niveau au squash »- parait extrêmement nerveux, renifle en trépignant sur place, les yeux sans cesse rivés sur la porte des toilettes…« toujours occupées. C’est chiant » Ce qui a le don d’agacer« notre grand spécialiste. » « Oh tu vas pas partir aux chiottes toutes les demies heures » Sans attendre la réponse, c’est pourtant la première chose qu’il fait. « Ce doit être la prostate, je ne vois que ça » tente l’autre, pour détourner l’attention. La prostate…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">La question l’a mis si mal à l’aise que le gamin s’empourpre « presque », en tout cas cherche un peu ses mots, finit par bredouiller un « heu…je crois qu’il faut lui laisser un peu de temps… » Il doit avoir dans les vingt ans et encore. Vient, d’après ce que je sais, tout juste de parapher son premier contrat pro. C’était en début de saison, avant qu’il ne se blesse aux ligaments... </span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">L’arrivée, plutôt haute en couleurs, - « Oh mais c’est l’heure de la sieste là-dedans ou quoi ?! » - d’un autre membre de l’équipe, la trentaine brute de décoffrage -« uniquement pour la bonne cause. Faut leur servir la soupe. Après, c’est comme en match, si t’arrives à lever un peu la tête…T’as compris le coup, petit ? T’inquiète ça viendra - et cet œil de maquignon qui sait très bien où-quand-comment mettre les deux pieds, « si possible pas dans le même plat! », permet à notre « grand espoir » de filer à l’anglaise. « Oh il nous quitte déjà…» s’étonne celui qui donc « a joué » et aussitôt un voile de mélancolie lui brouille le regard. J’imagine que pour les gens comme lui c’est encore plus difficile de vieillir. Oui, c’est dur. Et sans doute espèrent-ils capter un peu de cette force vitale durant ces moments « privilège », au contact de ces joueurs dans la force de l’âge. Sans doute…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Alors qu’il se dirige vers le bar, jetant par ci par là un œil sur l’écran de télé, le gamin recroise le petit nerveux, l’œil qui pétille et la narine frémissante. Assez surpris - presque gêné que l’autre lui donne aussi spontanément l’accolade. « Bonne chance pour la suite, mec ! Et surtout méfie-toi du fisc. L’Etat c’est des pédales…»</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">La mi-temps va bientôt prendre fin. Et vraiment, il me tarde. Oui, j’ai hâte de quitter ce salon, ce curieux entre soi où j’ai l’impression de n’être qu’un poisson d’aquarium. Envie de retrouver le bruit du dehors. Les chants des supporters. Les écarts de la foule toujours prompte - et c’est tant mieux, c’est tout ce que j’aime - à s’emporter pour des riens. Les voix outrancières, c’est vrai aussi, de certains, ceux-là plus forts en gueule. Leurs propos qui frisent souvent la vulgarité. Certes. Et le fracas des chocs - d’où nous sommes placés, nous avons une vue imprenable sur le terrain. Il faudrait être d’une extrême mauvaise foi pour ne pas l’admettre - le fracas des chocs, les râles sauvages et rauques des premières lignes, juste après les derniers commandements de l’arbitre…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">« J’ai promis à « qui de droit » que je ne chercherai plus à la revoir. Mais bon… cette fille, tu sais… » Bien malgré moi, accoudé au bar où le gamin achève, cul sec, son troisième Whisky glace - il s’en faut de très peu que son président, venu satisfaire à son quota obligatoire de mains serrées, ne le prenne en flagrant délit - en consultant mes sms dans l’espoir vain de me donner une contenance - l’ami qui m’a dégotté ce billet en VIP a dû se décommander au dernier moment. D’autres « gros clients de sa boite » le réclamaient. Une autre RP « désolé mon vieux. Tu me raconteras. » Et le sentiment étrange, en dépit de la prévenance et de toutes les attentions qui m’entourent, de me sentir comme une personne déplacée - oui sans le vouloir, j’intercepte des bribes de conversation. Le visage de ces deux hommes qui se tiennent juste en face de moi, par exemple, bien sûr que… Mais oui, oh mémoire de malheur, ces deux là, voyons… </span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">« Moi qui croyais que t’avais arrêté les conneries. Fais gaffe. Un de ces quatre, tu retrouveras tes affaires en boule sur le palier. » Deux anciennes gloires du club. Voilà ça me revient. Deux centres qui passaient pour être inséparables, disait-on, à la ville comme à la scène et même mieux que deux frères siamois. Ils avaient raccroché, trois ans plus tôt je crois, et pourtant leur connivence demeurait intacte. Je me suis alors fait cette réflexion à la sauvette. Assez réconfortant de vérifier que parfois et bien que beaucoup s’échinent, ça et là - simple effet boomerang un peu trop nostalgique pour être honnête ?- à vous démontrer le contraire, oui réconfortant de vérifier que l’idée que je m’étais toujours faite du rugby, ne pouvait tout simplement pas se résigner à mourir, et je veux bien croire à toutes les dérives inhérentes au professionnalisme, ah quand même...</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">« Alors ce projet de bouquin sur ma vie, t’en penses quoi ? » Pas certain, vu d’ici, toujours ce bar où ma timidité maladive se cramponne à qui mieux mieux, oui pas certain du tout que le laïus du rugbyman à l’œil de maquignon- « Non retenu pour le match. Choix tactique du staff »- ait pleinement convaincu notre « presque champion de squash », soudain écrasé de fatigue, le regard un peu perdu, l’œil dérivant dans le vague avec à nouveau pour seule ligne d’horizon la porte des toilettes. « Tu m’excuses, mais là faut vraiment que j’y retourne…»</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Je n’ai pas vu le gamin partir. Trop absorbé par les dernières répliques des deux centres en discussion très technique avec « leur Président », venu entre temps aux nouvelles. «Hé, ce gosse que vous avez fait signer…vu sa gueule, il a dû rater quelques branches…» J’ai fini par regagner mon siège, à l’instant où la femme qu’on aurait crue échappée d’une nouvelle de Fitzgerald s’est levée. « Mon dieu, ça me fatigue de les voir courir. » me dit-elle en passant. Avec le froid, le ballon volait déjà moins haut. </span></span></p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Benoit Jeantet</span></span></p>
rugbymanehttp://durugby.hautetfort.com/about.htmlUne fin heureusetag:durugby.hautetfort.com,2020-12-22:62858982020-12-22T11:14:41+01:002020-12-22T11:14:41+01:00 Ça a commencé par hasard. C’était le début des vacances de Noël et le...
<img src="https://size.blogspirit.net/hautetfort.com/durugby/600/media/00/02/3531085976.jpg" alt=""/><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Ça a commencé par hasard. C’était le début des vacances de Noël et le voisin de Papa qui vivait de la revente de livres anciens rachetés par wagons entiers à l’Emmaüs du coin - il m’en refilait des caisses en échange de quelques DVD quasiment neufs que des potes critiques me refourguaient histoire de participer, eux aussi, à la complète dématérialisation de tout l’univers - oui, le voisin de Papa que les gens du village appelaient « la cloche » m’avait prévenu - et même au téléphone, il m’avait semblé que sa voix, au départ pas plus affolée que d’habitude - Papa le surnommait « Tic-tac » à cause de son débit de mitraillette - s’était vraiment mise à battre les cent coups - oui « la cloche » m’avait prévenu que le vieux venait à nouveau de tirer sur le fils Barrailla. Sauf que, cette fois-ci - tirer à cinq reprises sur le nouveau facteur, ça commençait à faire pas mal - le maire n’avait pas pu faire autrement que d’alerter les gendarmes. Papa avait même eu droit à une garde à vue en règle. Cellule de dégrisement et tout. « Faut que tu viennes démerder tout ce bordel. Le vieux a vraiment dégoupillé ce coup-ci. Si tu le calmes pas, ça risque de se finir avec du sang ou par une fin violente »</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Le ton avec lequel « la cloche » avait débité son laïus était net, sec et sans réplique. La mort dans l’âme j’ai dû remettre à plus tard mes projets de week-end-hôtel de la plage-reprise d’un ancien scénario ( en tant que script-doctor, on me demande parfois de retoucher des scénarios. De remettre sur pied des histoires dont l’intrigue s’est mise à boiter ) pour lequel un producteur télé venait tout juste de me relancer. Un week-end que je m’étais pourtant mitonné aux petits oignons, sur la côte d’Émeraude. Avec vue imprenable sur la petite maison de pêcheur que mon ex-femme et son nouveau compagnon partaient se retaper chaque vendredi soir, histoire de laisser infuser l’aigreur plus profondément dans chaque parcelle, dans le moindre tissus de mon être et, qui sait, de trouver là matière à ourdir quelque complot machiavélique au terme duquel je pourrai enfin savourer ma revanche. Oui-oui, je sais ce que vous vous dites. Je sais. Et, croyez-le ou non, sachez bien que je me méprise aussi pour ça. Mais c’est à croire que, dans notre famille, l’esprit de vengeance a élu domicile dans nos gènes comme un microbe têtu.</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">En dormant à moitié dans le train - un véritable tortillard, deux heures d’arrêt à Brive, à peu près vide hormis un groupe braillard de bidasses avec quelques litrons de bière pour seul viatique dans cette interminable nuit de l’espèce - oui, à moitié assoupi sur mon script, j’imaginais d’ici le paternel et sa fière allure de nabot, le visage rougi par une soudaine envie de violence, se demandant comment il avait pu faire pour louper son coup. Dans son esprit buté et malade, tout ce qu’il y avait à faire, c’était de décrocher le vieux calibre du grand-père et d’aller, ni vu ni connu, prendre tranquillement le poste derrière le massif de cytise. Et puis d’attendre - attendre, mon père faisait ça à la perfection. Un vrai bonze et quand j’y songeais, il aurait pu trouver un job dans le cinéma sans aucun problème - attendre que la tournée du fils Barrailla l’amène à nouveau dans les parages. « La cloche » le soupçonnait même de s’envoyer lui-même du courrier, afin d’être sûr et certain que l’autre repointerait le bout de son nez par ici. Plusieurs semaines que le manège durait. La maladie de mon père empirait et peu dire que le malheureux postier n’avait pas fait grand-chose pour mériter un tel acharnement.</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Son seul tort, bien sûr j’écris ça entre de gros guillemets lumineux, était de s’appeler Barrailla. Et bien sûr, aux yeux de mon père, il s’agissait d’un tort exclusif, depuis, à savoir plus de cinquante ans en arrière, qu’il avait voué ce nom à l’enfer et ce jusqu’à la consommation des siècles. Le plus cocasse c’était que l’infortuné facteur n’avait strictement rien à voir, de près comme de loin, avec la parentèle du Barrailla en question, le jeune arrière, qu’on disait relanceur hors pair et buteur plus que fiable, du Cercle Athlétique de Roquefeuil. J’avais eu beau le lui expliquer « voyons, Papa…Barrailla est mort…il y a plus de dix ans…Une mauvaise chute en voulant arranger une gouttière…tu as même offert un coup de vin cuit à « La cloche » pour fêter ça. Tu t’en souviens…» Rien à faire « et après! Il est revenu, je te dis! Il est revenu du diable » Sa maladie taillait la zone dans son cerveau. Dès lors, « La cloche »avait raison, le pire semblait toujours possible. Il suffisait d’attendre. </span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Mais non, ce malheureux postier, victime d’une simple homonymie, n’avait rien à voir avec le véritable « fils Barrailla », l’ancien meilleur ami et coéquipier modèle, honni du jour au lendemain par le vieux. Et pourquoi dans le fond ? Pour quelle raison qui justifiât tant soit peu une telle obsession ?</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Un jour que j’avais encore dû descendre, ni une ni deux, tempérer l’instinct belliqueux du paternel, j’ai dû expliquer, une bonne fois pour toutes, à « La cloche» comment toute cette risible affaire avait débuté. Quel avait été l’élément déclencheur - ainsi qu’on nomme le point de départ dramaturgique préalable à toute fiction dans notre petit jargon scénaristique – oui, l'élément déclencheur de toute cette saga placée sous le signe du rugby et de la rancune. Et je lui expliquais également que rugby et rancune avaient, d’où qu’on regarde à travers les âges, toujours fait plus ou moins bon ménage. Il m’avait fallu planter en quelques mots le contexte. Une finale de championnat de Promotion d’Honneur. Une finale opposant donc l’équipe de l’Espérance de la Vallée du Kercorb au Cercle Athlétique de Roquefeuil, club où évoluaient, entre autres, les deux meilleurs amis du monde: Barrailla, que tout le monde appelait « le fils Barrailla » puisqu’il était le rejeton de l’entraîneur, et mon vieux qui évoluait pour sa part au poste de demi de mêlée et était surtout le capitaine de l’équipe. Voilà pour le contexte qui sentait d’autant plus la poudre et le sang que ces deux équipes, si proches, avaient pour habitude de se rendre coup pour coup. « Œil pour œil et le tout sans protège-dent » me répétait souvent mon père, dans ma jeunesse.</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">L’élément déclencheur alors-alors ? Un ballon botté un peu de guerre lasse par l’arrière de l’Espérance et ce ballon qui vient rebondir mollement dans l’en-but du Cercle Athlétique, alors qu’il reste tout juste une poignée de secondes à jouer et que le Cercle mène par surcroît de trois points. Oui. Un ballon tout mollement inoffensif qui rebondit dans l’en-but et que «l e fils Barrailla », lequel tourne le dos à l’adversaire et ignore donc que l’ailier opposé n’a pas stoppé sa course et a même suivi la balle, oui, un ballon que « le fils Barrailla » décide de ne pas aplatir tout de suite alors que. Non. « Le fils Barrailla », avec cette nonchalance que peut parfois lui reprocher mon vieux - son meilleur ami à l’époque - se contente d’accompagner la balle en ballon mort et c’est là, j’ai tué le suspense dans l’œuf je l’avoue, c’est là que l’ailier adverse surgit et plonge in extremis sur le cuir… juste avant qu’il ne morde la ligne, comme ça au nez et à la barbe naissante - par superstition il arrive que certains joueurs ne se rasent plus durant les phases finales, mais c’est une autre histoire - et qu’il arrache ainsi donc la victoire au Cercle Athlétique de Roquefeuil qui ne se hissera du reste plus jamais jusqu’en finale. Hemingway, décidément, avait bien raison « tous les sports sont cruels…quand on perd »</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Ça a commencé par hasard. C’était le début des vacances de Noël et le voisin de Papa, qui vivait de la revente de livres anciens rachetés par wagons entiers à l’Emmaüs du coin et que les gens du village appelaient « La cloche », m’avait prévenu que le vieux venait à nouveau de tirer sur « le fils Barailla » qui donc n'était pas exactement le véritable « fils Barailla » Tout le monde au village redoutait que toute cette histoire, dont l’intrigue venait de connaître son dernier nœud dramatique, ne se conclue dans le sang et un déchaînement de violence inédit, mais dans ce train quasi désert qui limaçait dans la nuit noire de l’âme, je décidais - non mais après tout n’étais-je pas scénariste et même un script doctor assez reconnu dans la profession ?- d’écrire un ultime développement - avec, oh j’en conviens, quelques ellipses assez tour de passe-passe. Dans le jargon, on parle d’ailleurs de dei ex machina. Bref - oui, je décidais d’écrire le genre de développement de dernière minute qui, contre toute attente, ferait basculer toute l’affaire sur une fin heureuse.</span></span></p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Benoit Jeantet</span></span></p><p> </p>
rugbymanehttp://durugby.hautetfort.com/about.htmlUne boue dans l’œiltag:durugby.hautetfort.com,2020-12-18:62850132020-12-18T08:02:55+01:002020-12-18T08:02:55+01:00 « Je ne me prends pas pour Dieu. Je suis son père ! » J’enlève mon...
<img src="https://size.blogspirit.net/hautetfort.com/durugby/600/media/01/01/1418906436.jpg" alt=""/><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">« Je ne me prends pas pour Dieu. Je suis son père ! » J’enlève mon protège-dents à la va vite, j’ai tellement envie d’offrir au monde un vrai profil de vainqueur et pourtant j’ai comme une boue dans l’œil. Et je me souviens encore de l’air hébété de Louis - après celui du journaliste qui vient de recueillir mes impressions à chaud - oui l’air de Louis, mon vieux copain. Et de son doux regard de myope où se lisait une certaine incrédulité. Est-ce que j’étais vraiment sérieux ? Louis ne pouvait pas y croire. Pas vraiment. Mais oui, je l’étais. Du reste, pourquoi ne l’aurais-je pas été ? Oui, pourquoi me priver de ce petit luxe de prétention naïve à ne pas croire mais totalement assumée ? Qui plus est au sortir d’une rencontre que je venais, selon l’expression consacrée, « d’éclabousser de ma classe » De ma jeune classe… puisqu’à l’époque, j’avais tout juste dix-sept ans. </span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Alors, quand un micro s’est tendu, au départ je me suis noué - c’était la première fois que... Louis et moi, vous savez, on vient de l’un de ces coins un peu oubliés de la république - Louis préfère dire « un peu perdus pour la France » et c’est plus joli - ça sonne mieux, c’est sûr, et de toute façon je n’ai pas trop le cœur à en parler. Trop de personnes avec tous leurs grands airs sérieux font ça mieux que moi. Et même si c’est souvent pour nous cloisonner entre deux airs de rap, des deals en tous genres et d’interminables parties de balle aux prisonniers avec les flics, ou bien pour soit disant tordre le cou à certains clichés… au final, mouais, j’ai toujours un peu de mal à nous reconnaître là-dedans. Bref – oui, j’étais tout noué, sans savoir ni comment ni quoi répondre et puis devant l’insistance du journaliste, je me suis souvenu du surnom qu’un des animateurs m’avait donné, là-bas, chez nous, « dans les quartiers », et ce surnom c’était « le dernier roi du cool», et même que l’animateur en question écrivait un peu dans un fanzine de cinéma, et alors il trouvait, allez savoir pourquoi – les cols roulés noirs et les vestes en daim, c’était déjà pas trop mon truc- oui, il trouvait que je ressemblais vaguement à Steve Mac Queen, voilà, n’empêche que je me suis souvenu de ça, m’étant dit sur le coup qu’à la fin d’un match de rugby, un Steve Mc Queen…rugbyman ( je sais, on nage en pleine science fiction là ) aurait très bien pu balancer ce genre de répliques… J’étais jeune et « j’avais pas fini de cuire », une autre expression de Louis que j’aime bien. Et puis, c’est vrai, j’avais déjà commencé à me prendre un peu pour un autre. </span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Aujourd’hui encore, ces soirs où je m’use les nerfs à ressasser le drame du joueur de rugby qui sait qu’il a cessé d’être un joueur de rugby, il m’arrive de revoir chaque action de cette fameuse rencontre – ma première feuille de match au milieu des cracks de l’équipe première…que je quittai deux ans plus tard, à cause d’une vilaine blessure au rachis cervical… Un plaquage cathédrale comme il y en a…après le grigri de trop … Sur la civière, puis lors du trajet en ambulance, je me répétais « ‘tain, la prochaine fois, passe ton ballon »… et puis la tétraplégie évitée d’extrême justesse…Je n’ai plus jamais rechaussé les crampons après ça… « 'tain, la prochaine fois, passe ton ballon » Mais c’est une autre histoire - il m’arrive donc de revoir chaque action de cette fameuse rencontre et il me semble alors qu’une certaine idée de la jeunesse vole comme un vieux rêve enfui à travers la sombre atmosphère où le sort m’a depuis assigné à résidence. </span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Il y a des fois où je me dis - ces soirs-là, tout particulièrement - oui, des fois où je me dis que le sort m’a condamné à cette vie sans panache. Et que vivre, pour moi désormais, ce n’est plus qu’un événement désenchanté. Bien sûr j’exagère. Je ne m’en suis pas si mal sorti. Mais l’aigreur est humaine et ce coup du sort, je l’ai longtemps vécu comme une espèce d’assassinat. Mais oui, c’était comme si l’on m’avait tué pour le rugby. Et lorsqu’on tue quelqu’un, vous savez, on ne lui enlève pas seulement tout ce qu’il avait, mais aussi et surtout, tout ce qu’il aurait pu avoir. Tout ce que le rugby avait encore à m’offrir…Le sort en avait décidé autrement. C’est comme ça. </span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Le sort ? Oh, sur le motif, qu’y aurait-il de vraiment neuf à rajouter? La réponse incombe aux philosophes, comme Louis ( Louis est devenu Prof. Il anime des ateliers d’écriture et des cafés-philo, chez nous, « dans les quartiers » ), oui comme Louis me le répète souvent pour taquiner, quand le crépuscule recommence à semer le doute au fond de tous ces derniers verres qui espéraient seulement conjurer l’aigreur - chacun a ses soucis. Nos soucis sont rien moins qu’ordinaires mais je trouve que nos verres sont formidables. A chaque fois, je regarde Louis en promettant de les aimer, ces verres, jusqu'à ce que la soif nous sépare - et qu’il cède à sa manie de faire des phrases. Pour consoler nos tristesses. Mais j’avoue que la philosophie et moi…ahem…c’est un peu comme si David Bowie ressuscitait d’entre les cendres pour prendre les rennes du XV de la rose…Encore que…Twickenham reprenant en chœur « Heroes» à la place de l’assommant « Swing low Sweet Charriot »…ma foi…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Le sort ? Tout ce qu’il y aurait à dire, c’est que j’ai été un espoir très prometteur. Un rugbyman professionnel qui gagnait très bien sa vie. Trop même, selon certains. Je les entends encore. « Trop payé. Pourri par l’argent » L’argent avec lequel j’aurais eu des rapports de fascination très étranges. Mais c’était faux et ils n’écoutaient pas. Je viens d’un milieu modeste et ça je l’ai déjà dit. Je l’ai d’ailleurs trop dit. Répété en guise de mantra. Et, par la farce des choses, j’ai même fini par me convaincre que toutes mes phrases à l’emporte-pièce avaient valeur d’arguments d’autorité. Il n’empêche que je sais le prix de l’argent et cela ne m’a jamais obsédé. Pourtant on préférait me voir comme une sale petite gouape qui flambait à qui mieux mieux dans des fringues coûteuses.Et pourtant c’était faux. Absolument faux. Ce n’était pas tout à fait moi. Mais personne n’était disposé à écouter. En même temps, comment pourrais-je les blâmer après coup. Quelqu’un qui balance à la sortie d’un terrain de rugby « qu’il ne se prend pas pour Dieu, puisqu’il n’est autre que son père » n’a-t-il pas déjà assez fait pour sa « mauvaise réputation ? »</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Il me faut bien l’admettre, mon cerveau n’était pas, à l’époque, la partie la plus musclée de mon anatomie. « Reconnais que tu l’oubliais souvent à la maison » me répète Louis. Bien sûr que je le reconnais. Et jamais personne, dans mon entourage d’alors, pour me rappeler qu’on a beau être un jeune joueur, dans ce milieu tous les mots sont adultes. Et qu’il est toujours préférable de se taire…surtout si on n’a rien à dire. Non. Jamais personne pour me recadrer tout simplement. Personne. A part peut-être l’un de mes entraîneurs – un type « à l’ancienne», un mec austère mais bienveillant ( un des derniers profs d’éducation physique à traîner encore dans le circuit. Un éducateur quoi. Un pédagogue un vrai, soucieux de transmettre, de glisser deux trois choses sur le sens de l’existence entre des considérations purement techniques) et je me souviens de cette façon unique qu’il avait de vous prendre à part, dans les vestiaires, pour vous murmurer quelques conseils à l’oreille - sauf que là c’est moi qui n’écoutait déjà plus. « Je ne me prends pas Dieu…»… J’étais en passe de devenir une star, vous comprenez- Oui, lui était si différent, c’était l’humain derrière le joueur qui l’intéressait, et j’aurais tiré un grand profit à lui prêter une oreille autrement plus attentive, alors que tout autour le monde hurlait, puisque la mode était de gueuler à tout propos sur les joueurs, que l’air du temps avait bel et bien achevé de convaincre les coachs qu’ils étaient des managers d’entreprise à part entière. Quand il ne s’agissait pas de « grand stratèges, des sortes de Clausewitz en survêt’ » qui pensaient le truc du haut de leur petite tour d’ivoire, en n’ayant de cesse de passer aux yeux du public pour d’indécrottables romantiques ( ah leurs numéros de claquette auprès des journalistes!), alors qu’ils vous considéraient tout juste comme des numéros interchangeables. Un jour vous passiez pour une pépite impérissable, un autre, à peine pour une m…et quand ça arrivait à des jeunes gens « qui n’avaient pas fini de cuire», le pire était à venir. Il suffisait juste d’attendre. </span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Mais bien sûr, là encore, j’exagère. Bien sûr. L’aigreur toujours. Les griefs, pas tout à fait honnêtes et un peu excessifs, que je nourris de loin en loin à l’égard de ce milieu professionnel où je n’ai pas su - pas pu trouver ma place. Mais, n’allez pas croire, je n’oublie pas tout ce que je dois au rugby. Et comment, grâce à ce sport, j’ai fini par apprendre à faire confiance aux autres. Ce sport si particulier, où, alors que le monde extérieur ne cultive pas forcément l’amour entre les êtres humains, construire des relations avec l’autre est vite perçu comme un réflexe de survie. </span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Beaucoup de mes jeunes partenaires, tout aussi prometteurs je veux dire, avaient été bien plus avisés que moi en continuant à se former, en poursuivant leurs études en parallèle. Sans doute savaient-ils déjà que le rugby ne pouvait pas tout. Que du jour au lendemain, brusquement, tout pouvait s’arrêter. Que jamais le talent ne vous mettrait à l’abri de ça. Et que même si…la pire des blessures, la blessure narcissique, guettait à tout moment. Et allez comprendre et soigner ce genre de blessure, quand vous avez tout juste dix sept ans, que les micros se tendent tout à coup pour vous dérouler le tapis rouge, qu’en toute innocence vous vous sentez presque obligé de renvoyer cette image du sale gosse « des quartiers» un peu rétif à l’autorité mais qui pue tellement le rugby, du petit génie forcément un tantinet branleur, forcément, une image dont vous vous dites, assez sottement – aujourd’hui je sais bien que Steve Mc Queen n’aurait jamais pu balancer une ânerie pareille - qu’elle sera tellement plus facile à vendre. </span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Je me revois encore au moment où je retire mon protège-dent. Il y a eu ce fameux match…cette rencontre-là, et j’ai l’impression que la vie peut devenir facile. J’arbore un beau sourire de vainqueur mais j’ai comme une boue dans l’œil. Et c’est peut-être ça qui m’empêche de voir qu’il me reste à peu près onze mots à vivre dans ma vie de rugbyman. Quand le micro se tend…« je ne me prends pas pour Dieu. Je suis son…», voilà, il est déjà trop tard.</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Benoit Jeantet</span></span></p>
rugbymanehttp://durugby.hautetfort.com/about.htmlL'épagneul de la mélancolie...tag:durugby.hautetfort.com,2020-11-26:62801052020-11-26T09:38:07+01:002020-11-26T09:37:00+01:00 Chacune et chacun doit rayonner avec ses félûres. Et parfois, alors,...
<img src="https://size.blogspirit.net/hautetfort.com/durugby/600/media/01/00/84610335.jpg" alt=""/><p> Chacune et chacun doit rayonner avec ses félûres. Et parfois, alors, certaines et certains ressentent la tentation du dernier vertige. C'est un fait et il revient nous chuchoter amèrement à l'oreille que la vie ne peut pas toujours se crocheter comme la jeunesse, oui, c'est un fait: Christophe Dominici a perdu la vie comme on perd tout espoir. L'espoir fait vivre. Il arrive simplement - et pourtant en la matière, bien sûr, rien n'est jamais aussi simple, tant il faut sans cesse compter avec l'environnement de ses rêves et les brutalités de leur nature - il arrive simplement que l'espoir vous quitte aussi brutalement que le premier amour et celui-là est sans doute le seul, l'unique, à avoir jamais compté.</p><p>Toutes celles, tous ceux qui ont écrit, parce qu'elles et ils le connaissaient ou ont pu largement et longuement le cotoyer dans l'exercice de cette profession de journaliste sportif que je tiens en si haute estime, parce que, que vous l'admettiez ou pas, elle regarde, en vrai, une certaine idée du beau bizarre et concerne, qu'on le veuille ou non, l'éducation de nos frissons, toutes celles et tous ceux qui ont écrit depuis que la triste nouvelle est tombée, comme il se peut qu'une vision parcellaire du monde s'apparente à la chute d'un ange que la vie aurait déchu, ont souligné la part que la perte brutale d'un soeur aînée a pu prendre tout au long du parcours de cet ailier apparement sans grande disposition pour l'esthétisme mais que le rugby tel qu'il le vivait, le ressentait, aura suffi à rendre beau. Car enfin, tout est là. Christophe Dominici allait déjà à l'encontre des canons en vigueur dans le rugby "moderne" lorsqu'avec son mètre soixante dix et ses maigres kilos d'enfant de Toulon - ici, on a souvent eu la faiblesse de croire qu'il n'aurait pas dépareillé au générique d'une de ces comédies à l'italienne où éructent encore pour l'éternité tant de picaros métaphysiques. Manfredi. "Pain et chocolat". Et sous les rires de cet comedia dell'arte maculée de tomata, voir comment la faucheuse pointe son petit nez sous les moustaches - il donnait le tournis aux plus balèzes de l'hémisphère Sud, aux athlètes cuirassés comme des gladiateurs qui rendaient la justice à l'Est et à l'Ouest des lignes de touche. Oui, tout était là qui suffisait à parer ce joueur à trogne de Gnafron d'une beauté dyonisiaque et le vieux fond d'agressivité, ces nevroses où l'âme est à recuire à petit feu depuis l'enfance, faisait le reste.</p><p>Chacune et chacun doit rayonner avec ses félûres. Très bien. Sauf que pour quelques uns de ces jeunes gens du rugby, la jeunesse ne peut pas toujours se résumer à un état d'esprit. Alors, il arrive que le corps entre en jeu, ce corps-là, trop " vieux-jeune" pour qu'il puisse rejouer une partition tant soit peu plausible, ce corps qui avait tant couru la race et qui aurait dû, "normalement", se contenter d'une vie de promenades avec l'épagneul de sa mélancolie - le corps des rugbymen a de la mémoire. Et c'est sans doute le seul sport où l'on peut envisager l'existence d'une mélancolie du corps - oui mais, voilà...</p><p> </p><p>Benoit Jeantet</p>
rugbymanehttp://durugby.hautetfort.com/about.htmlRemettre le malheur à plus tardtag:durugby.hautetfort.com,2020-10-25:62721992020-10-25T12:01:26+01:002020-10-25T12:01:26+01:00 J’ai senti une vibration étouffée dans la poche arrière du treillis. Je...
<img src="https://size.blogspirit.net/hautetfort.com/durugby/600/media/00/00/529656071.jpg" alt=""/><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">J’ai senti une vibration étouffée dans la poche arrière du treillis. Je m’étais pourtant promis d’oublier ce satané portable à la maison. Je me doutais bien de la provenance de l’appel et je n’ai pas voulu répondre. On ne peut jamais savoir ce qui plaît aux gens. Les cloches tintaient leur complainte lugubre à l’entrée du village. Un coup, deux coups, trois coups…j’ignorais l’heure qu’il pouvait bien être, j’ai arrêté de compter ça fait bien longtemps et dans le fond, je crois que je m’en moquais. Oui. Je m’en moquais éperdument. Je marchais, mains dans les poches de mon vieil anorak, en suivant du regard la chienne qui s’ébrouait après le souvenir d’un cerf ou de quelque sanglier rustique ( il en existe encore de cette espèce, par ici, et même si j’ai toujours détesté le goût de cette chair au fumet trop violent, j’avoue avoir pris, à une certaine époque, un plaisir sans pareil à leur traque dans la lumière du soleil d’automne, la terre molle et le ciel déchiré de part en part par les plaintes des feuillages et l’apathie glacée de la mort qui vous saisit durant l’approche. Oui, j’ai aimé la chasse. Ce genre de chasses furtives- je pratiquais ma passion en solitaire, me tenant obstinément à l’écart des battues et je sais bien, aujourd’hui, que d’autres fraternités se jouaient là. Bien sur- où l’homme s’esquinte le cuir à essayer de comprendre la bête, comme il cherche, bien naïvement, à renouer avec cette part animale tapie en lui. Et puis notre fils est venu au monde et je n’ai plus jamais touché un fusil. Plus jamais. Ça s’est fait comme ça. Le sang noir a cessé soudain de me battre les tempes. Il est vrai aussi que je venais de découvrir le rugby. Une sacrée rencontre. Décisive, ça, je dois le reconnaître, le rugby. Une rencontre entre les autres-tous ces autres et leurs mystères- et cette partie de soi-même qui aurait bel et bien risqué de croupir dans les recoins obscurs de quelque zone grise, sans eux-sans lui. Sans cette injonction qui lui était faite tout à coup. Celle de se lier. D’amitié mais pas que. Le besoin de solitude s’effaçait, et collée au cul du pack, l’âme noire laissait peu à peu la place à un être plus solaire qui semblait apte enfin au bonheur, éprouvait ce besoin d’habiter autrement notre nature humaine. La possibilité de laisser libre court à cette ample sauvagerie de la jeunesse qu’une sorte de bushido domestique codifiait, rendait tout à coup plus acceptable) et j’aime quand ma vieille chienne s’élance dans le sous-bois qui surplombe la plaine avant de se dérober sous l’ombre fraîche des premiers grands sapins de cette forêt profonde, où je repars quelquefois visiter mes anciens coins de chasse. En songeant sans cesse à cette vérité somme toute assez cruelle: le rugby commence et s’achève avec le rugby. </span></span></p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Et là, sous l’effet de l’air pur, mon cœur sursaute alors comme un enfant qui joue. C’est un peu comme si une eau jeune me rafraîchissait l’âme et le corps. Là encore, j’ai peine à me l’expliquer. Je suis sur l’âge, j’ai largement dépassé la soixantaine et je fais comme tout le monde, j’habite un coin de ce village avec, dans le fond du garage, de douces mélancolies en attente avant de sombrer dans un sommeil inquiet. Parfois il vous suffit de tomber par hasard- un outil de jardin ou je ne sais quoi d’autre qu’on était certain d’avoir rangé là- sur une paire de crampons, un maillot un peu poussiéreux ou un morceau de short taché de cambouis et ça vous ramène aussitôt à la joie d’un grand souvenir. Parce qu’il me semble- loin de moi l’idée de vouloir établir une quelconque hiérarchie- oui, il me semble qu’à l’inverse de beaucoup de choses-la chasse être autres- le rugby a cette faculté d’ennoblir les souvenirs. </span></span></p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Je veux dire, aussi et surtout, que faire partie d’une équipe, à une époque de sa vie où l’on place encore l’amitié ( et parfois, entre nous, l’amitié était telle que rien ne pouvait en rompre l’harmonie) presque au dessus de cette grande affaire qu’est l’amour, c’était un peu- du moins est-ce ainsi qu’avec le recul je crois comprendre les choses- oui, faire partie d’une équipe, même dans ces moments de doute qui empoisonnent la confiance , malgré tous les coups douloureux qu’on y récolte- qu’on assène aussi (et je n’étais pas le dernier quand il s’agissait de rivaliser de vacheries en tout genre, de faire assaut de cette fameuse mâle innocence), oui, faire partie d’une équipe, alors c’était comme remettre le malheur à plus tard.</span></span></p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Au loin, les cloches sonnaient midi et ça je m’en souviens. La chienne était sagement accroupie à mes pieds, un peu hors d’haleine, et moi, assis sur une souche, je consultais mollement le répondeur de mon portable. Encore un de ces messages au ton aigre-doux, encore un même pas fichu d’assumer sa colère à hauteur d’homme. On ne peut jamais savoir ce qui plaît aux gens. J’aurais bien aimé pousser un peu plus loin la promenade, mais mes jambes étaient décidément trop lourdes. Trop d’effort. Et plus assez de souffle, aussi. J’étais en train de me relever pour rebrousser chemin et à nouveau la même vibration étouffée, qui, cette fois, me fit lâcher le portable de surprise. Mais oui. Un peu comme s’il s’était enfui de ma main…comme un ballon. La chienne prit peur et se mit à déguerpir en sens inverse. A toute allure, en jappant toute affolée, vers le village et la maison. J’ai voulu ramasser ce fichu téléphone…oh et puis non. Je l’ai laissé là, me disant que de toute façon, je le retrouverai demain ou une autre fois, quand je serai à nouveau fatigué du quotidien et qu’alors j’enfilerai mes bottes et mon vieil anorak, que je sifflerai la chienne avant de regagner ce sous-bois, m’offrir quelques heures au calme, prendre le plaisir de repenser à cette époque où j’ai cessé un jour d’être un chasseur solitaire…pour devenir rugbyman. </span></span></p><p> </p><h1 class="western"> </h1>
rugbymanehttp://durugby.hautetfort.com/about.htmlComme le héros blessé du filmtag:durugby.hautetfort.com,2020-10-18:62706622020-10-18T10:42:43+02:002020-10-18T10:42:43+02:00 On attendait une après-midi ensoleillée sur les trois quarts du pays, mais...
<img src="https://size.blogspirit.net/hautetfort.com/durugby/600/media/02/01/2890574021.jpg" alt=""/><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">On attendait une après-midi ensoleillée sur les trois quarts du pays, mais pour Marc il était temps que cette journée se termine. Et si possible, un peu mieux qu’elle n’avait débuté. Mais il y a des jours comme ça, dans la vie, Marc le savait, des jours dont on sent, et ce à l’instant même où ils commencent, qu’il ne va pas falloir en attendre monts et merveilles…</span></span></p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;"><br />Marc habitait en face de la gare, et ce matin il lui avait semblé - bien sûr il pouvait se tromper. Du reste, il s’était souvent trompé - oui, ce matin il lui avait semblé que ce qui restait de la nuit précédente - épaves molles et silencieuses dont on aurait presque pu supposer d'ici que tout ça avait dû vibrer et même assez haut et même très fort - n'avait toujours pas envie de rentrer à la maison. Non. Pas encore. Non. Pas tout de suite. Et ces silhouettes titubant dans les premières lueurs du jour l’avaient, un peu malgré lui, ramené plusieurs années en arrière. Au temps de la jeunesse, quand les complices du rugby le raccompagnaient jusqu’à la maison, tel le héros blessé du film. Une fois - s’en souvenait-il ? - il leur avait lancé « nous ressemblons aux cuirassés à la dérive. Nous avons encaissé tant d’assauts qu’il est temps de se noyer dans un océan d’amour et de haine…» </span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Dans le train qui le menait à présent vers le stade où ses deux fils s’entraînaient, le regard perdu, vide, absent, il tachait de se distraire, de diluer son désarroi en guettant des tendresses minuscules sur le visage des autres passagers. Mais à une heure pareille - 16h, un mercredi de décembre gris et frisquet - à cette heure, se dit-il, il était encore, soit bien trop tard, soit un peu trop tôt pour ce genre de choses. A cette heure, les fatigues du matin avaient depuis belle lurette reculé dans l’ombre, perdu du terrain face au brouhaha des conversations. C’est alors qu’une voix, quelque chose d’austère et de sec qui lui parut immédiatement familier, le tira de sa torpeur. Une voix, revenue du plus loin de l’oubli, qui répétait comme une sorte de mantra: « pour être rugbyman, tu ne peux pas commencer par dire que tu es rugbyman. » Celle d’un homme engoncé dans un imperméable mastic couverts de taches, un pantalon en velours vert rentré dans de grosses chaussettes rouge et noire qui remontaient au-dessus du genou…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Vers 8 h, Marc et son ex-femme s’étaient donnés rendez-vous et c’était comme ça, chaque semaine, une manière de faire le point. Aucun des deux n’avait envisagé de refaire sa vie et pour éviter de faire subir aux petits leurs différents de couple, ils s’étaient finalement décidés pour une garde alternée dans un domicile unique. Les enfants habitaient donc toujours dans leur ancienne maison - « en terrain neutre» ironisait Marc quelquefois - et une semaine sur deux, elle ou lui regagnait « tout simplement » le petit studio que chacun louait de son coté. Il arrivait que les choses en viennent à s’envenimer entre eux, pour une brosse à dent ou une paire de chaussettes oubliées. Ce genre de négligences assez insignifiantes mais qui suffisaient encore à ressusciter de manière brutale le fantôme de leur couple « Si tu pouvais éviter de laisser traîner ton protège-dents » avait-elle dit, plus sèche que d’habitude, ce matin-là…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Un peu plus tard, au travail ( Marc était chef dans une brasserie de marché ) alors qu’il faisant dorer des cuisses de lapin, il eut l'impression d'assister à la mort d'un personnage. Le jour où ses deux gamins lui avaient fait part de leur envie conjointe de se mettre au rugby, presque aussitôt il avait décidé de raccrocher les crampons. Pas envie que leur destin et le sien puisse un jour se confondre. Marc les aimait trop pour ça. Enfin…C’était surtout que…comment dire…il avait toujours été intimement convaincu que pour que quelque chose vive, il fallait bien qu’une autre accepte de faire place nette. Et bientôt ce serait à eux de lui raconter leurs batailles, d’évoquer leurs victoires éclatantes, de revenir avec pudeur sur les raclées abondantes qui ne manqueraient pas de jalonner et d’instruire leur parcours de jeunes gens…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">« Pour être rugbyman, tu ne peux pas commencer par dire que tu es…» Dès l’instant où Marc s’était levé de son siège, l’homme à l’imper mastic avait disparu... </span></span></p><p> </p>
rugbymanehttp://durugby.hautetfort.com/about.htmlA la vitesse d'un mélodrametag:durugby.hautetfort.com,2020-10-17:62704692020-10-17T09:21:27+02:002020-10-17T09:21:27+02:00 J’ai enfourché mon vélo. J’ai fait ça comme on prendrait le sac et la...
<img src="https://size.blogspirit.net/hautetfort.com/durugby/600/media/02/00/2779437283.jpg" alt=""/><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">J’ai enfourché mon vélo. J’ai fait ça comme on prendrait le sac et la cendre. Et puis j’ai pédalé, un vieux bonnet de marin vissé sur le crâne, j’ai pédalé jusqu’à mettre assez de distance entre mon découragement et la maison que j’occupais depuis mon retour ici. Une longère où ma voisine - petite bonne femme au visage ridée comme une pomme d’hiver. Je revois encore ses manières rudes. Cet air de vieille dame indigne qui la rendait attachante. Et cette façon qu’elle avait de vous sourire sans vraiment vous sourire - avait bien voulu que je m’installe provisoirement - elle me la louait pour une bouchée de pain - en échange de quelques travaux de rénovation. Un peu de plomberie. Une chape à couler dans la cuisine. Et ce bout de terrain laissé en friche depuis des lustres que j’avais entrepris de transformer en jardin d’ornement. Des promesses. Encore des promesses…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Les muscles ne mentent pas. Après un quart d’heure d’efforts, j’approchais, le souffle court et les mains en haut du guidon, de la petite maison forestière située auprès de l’embranchement formé par la rue principale du bourg et celle qui mène au col de la croix des morts. Cette petite maison où j’avais vécu avec mon garde forestier de père. Il y avait si longtemps…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Le vent s’est levé. Je n’en pouvais déjà plus. Un vent cinglant qui m’a très vite obligé à mettre pied à terre. Rien d’autre à part ce vent et quelques nuages pour occuper tout l’espace disponible entre ciel et plaine. Des nuages poudreux que la bourrasque faisait défiler à la vitesse d’un mélodrame…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Très tôt, ce matin-là, je suis sorti boire mon café sur la terrasse. Un mauvais café. Trop de grains moulus. Et moulus beaucoup trop fin. Je venais de remettre à plus tard mes grands projets de ménage. Même pas envie de ranger ma chambre où le linge sale s’amoncelait un peu partout. Non. Je me suis contenté de la balayer du regard et voilà. Il faisait froid à l’intérieur. J’aurais pu essayer de rallumer le feu. Au lieu de ça, j’ai enfilé un pull col cheminée histoire d’apporter une touche d’élégance à cet hiver désolant de solitude. Dans la vie de tous les jours, les petites choses sont importantes, alors j’ai pris le temps d’aller saluer ma voisine qui donnait un peu d’eau aux poules. Je l’ai regardé faire, longtemps - un peu d’eau pour les poules - de l’herbe aux lapins - quelques poignées de gros sel « pour empêcher que la cour ne glisse trop »-, et tandis qu’elle s’acquittait de toutes ces taches répétitives avec une indifférence de princesse tibétaine, j’ai réalisé à quel point elle était restée la même…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Peu à peu, le vent s’est calmé. Je me suis remis en selle. J’avais envie de revoir la maison forestière où mon père et moi avions vécu. N’étais-je pas revenu ici pour ça…</span></span></p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Oui, après toutes ces années, cette femme était restée la même. Bien sûr, elle avait subi les outrages du temps – et puisque le temps, dans cette contrée âpre, laissait de toute façon assez peu de place aux coquetteries…- mais cette façon de vous sourire sans vraiment vous sourire, je l’aurais reconnue entre mille. Elle m’avait tirée d’un très mauvais pas, à l’époque. </span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Mon enfance…J’avais dix ans et mon père s’était remis à boire comme un gouffre. Sa seconde femme venait de le quitter après une énième dispute, celle-ci, je m’en souviens, un peu plus violente que les autres. J’avais dix ans et il avait bien du mal à s’acclimater aux mœurs locales. La seule chose d’étonnante chez lui, c’est qu’il ait pris le temps de m’inscrire à l’école de rugby. Pour quelqu’un qui avait le sport en aversion, oui, ça avait été une décision plutôt étonnante. Sans doute pensait-il que comme ça, moi au moins, je pourrais me faire des amis…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Ce matin, le givre était partout sur le jardin en voie de développement où, bien sûr, rien n’avait vraiment avancé, et tout à coup une phrase m’est revenue. Une phrase de Cioran. « Je donnerais tous les paysages du monde pour celui de mon enfance. » Dans la vie d’un écrivaillon aux plumées mazoutées et qui désespère de planer, un jour, à l’empyrée sur les ailes du verbe, ce genre de phrase n’a plus tellement d’importance…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Sur la route où je pédalais, nettement plus à mon aise à présent, soudain j’ai eu envie de rentrer. J’étais revenu par ici avec l’espoir que la brume qui entourait ces souvenirs douloureux se déchire, comme ça arrive quelquefois, mais au dernier moment je me suis dit qu’il ne servirait à rien de déranger ces fantômes de l’enfance. Au bout de quelques mètres, je suis descendu de vélo. J’avais besoin de reprendre mon souffle. De me calmer. J’ai fait celui qui élève un regard inspiré vers l’horizon et tout m’est revenu…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Mon père avait raison. Les rares amis que je me suis fait à l’époque, c’est à l’école de rugby que je les ai à peu près tous rencontrés. J’ai aimé ces heures où l’on pouvait presque avoir l’impression qu’à tout instant une autre idée de la vie - cette recherche permanente de sensations plus intenses. Le besoin tout à coup rendu possible de se frotter à toutes sortes de risques - oui, qu’à tout instant une autre idée de la vie s’apprêtait à envahir nos petites existences, bien grises jusqu’ici…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Oui, après toutes ces années, cette femme et moi étions restés les mêmes et je me suis souvenu de cette fois où je m’étais mis en tête d’aller à l’entraînement en stop, puisque mon père n’avait pas dessaoulé depuis une semaine et qu’il dormait comme un plomb, ce jour-là. Je me suis souvenu qu’elle s’est arrêtée à ma hauteur, auprès de l’embranchement formé par la rue principale du bourg et celle qui mène au col de la croix des morts. Et puis qu’elle m’a souri, toujours cette façon de vous sourire sans vraiment vous sourire, en ouvrant la portière coté passager. Qu’elle m’a dit « Allez monte ». Oui, voilà. « Allez, monte…»</span></span></p>
rugbymanehttp://durugby.hautetfort.com/about.htmlDubrovniktag:durugby.hautetfort.com,2020-10-08:62685852020-10-08T15:19:08+02:002020-10-08T15:19:08+02:00 Lumière un peu rase. Autour du square, il y a ce gamin qui tâtonne, un...
<img src="https://size.blogspirit.net/hautetfort.com/durugby/600/media/01/02/300941418.jpg" alt=""/><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Lumière un peu rase. Autour du square, il y a ce gamin qui tâtonne, un ballon de rugby sous le bras. En vidant le lave-vaisselle je ramasse le souvenir de ta main. Me cogne le front sur le plan de travail - une planche de bois brut poncée à la sauvette et qui repose en équilibre précaire sur deux tréteaux - en croyant l’atteindre. Le choc n’est pas tellement violent, non, mais je ne suis plus si jeune. Je reste plusieurs minutes sur les fesses, sonné. Mon poignet tremble. La tête me tourne un peu. Je desserre lentement ma prise…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Quelques-unes, quelques-uns, encore hier soir, chez Jeff, s'interrogeant à voix haute avec un tas de points d'interrogation perplexes : mais pourquoi écrire des nouvelles, enfin « tes trucs-là « (on ne sait pas ce que c'est, dans le fond ) où tu t'évertues à broder autour du rugby ? Sans rire? Enfin, pourquoi…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Une petite cuillère. Ce matin, voilà tout ce que j’aurai réussi à sauver de notre histoire. Demain, promis, je tente à nouveau ma chance. Promis. Oh je sais bien ce que tu as fini par penser de mes promesses. Et c’est vrai qu’elles disent souvent beaucoup d’un être. C’est vrai. Sauf que moi, je peux bien le reconnaître, je ne t’en ai jamais trop faites. Des promesses, vraiment des promesses…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">J’ai voulu m’expliquer un peu, leur expliquer dans quelle mesure j’étais, comme la plupart des gens, il me semble, une armée mexicaine à moi tout seul. Un condensé de paradoxes. Un de ces fils naturels de la mélancolie. Certes, certes. Mais aussi leur dire à quel point, justement, le rugby était par essence un sport qui permettait, oui parfois, de lutter contre l’impuissance mélancolique à laquelle nous invite souvent ce monde…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Le canari de la voisine d’en face s’en donne à cœur joie et maintenant j’ai mal au ventre. Le cassoulet d’hier soir - un précis sur la carambouille de viande à lui tout seul. Et gras à ne pas croire. Et… - a bien du mal à passer. J’aurais du vérifier la date, sur la boite. Et puis aussi ces bières de trop, chez Jeff. Encore un samedi qu’on aurait mieux fait de cuisiner autrement. Encore un. Je me relève tant bien que mal. Ça tourne un peu moins. Disons que ça ne tourne plus que dans un seul sens et c’est déjà ça. Oui, me dis-je, alors que je me déplace dans une épaisse odeur de gueule de bois jusqu’au lavabo de la salle de bain, d’ici quelques minutes, ça ira déjà mieux et ce matin pourra reprendre sa place dans le trafic…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">C’est un mot et un concept un peu fourre-tout, je sais bien, la mélancolie. Je sais-je sais. Bon, il s’agit en fait d’un mal un peu anglais venu frapper à l’improviste, un soir de novembre, à la porte d’un adolescent qui avait deux grands rêves dans sa vie: être un rugbyman amateur qui saurait voir les derniers espaces libres, et puis travailler pour le cinéma, parce que vous savez, le rugby et le cinéma sont les deux dernières grandes utopies collectives à tenir encore la route. Des utopies à la Gaudi. J’ai voulu leur expliquer… Que j’étais un condensé de tout ça et puis de tout un tas de bonheurs miniatures, aussi, et bien sûr, d’un sacré paquet de désirs inaboutis. Que c’était sans doute pour cela que l’ensemble tenait toujours en l’air. Mais ils n’écoutaient pas…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">J’ai faim et j’ai envie d’une cigarette, sans savoir dans quel ordre. Fixée par un magnet Coca-Cola, bien en évidence sur la porte du frigo, il y a cette ancienne carte postale avec une vue de Dubrovnik. Nous avions pris l’habitude de nous envoyer des cartes postales de ce genre, dès qu’on visitait une ville pour la première fois. Des cartes postales vides. Muettes. Lisbonne. Istanbul. Genève. Vienne… Dubrovnik. Pourquoi est-ce la seule que j’ai conservée? Pourquoi trône-t-elle comme ça sur le frigo? Avons-nous été vraiment heureux dans cette ville? Lisbonne. Istanbul. Genève...Nous avions parfois l’air de bien nous entendre…Dubrovnik. Il me semble pourtant que c’est là-bas, oui, que j’ai senti que quelque chose était sur le point de vaciller. A des riens. Ton regard qui s’altère. Il ressemble à ces parenthèses comme il y en a dans les conversations un peu ennuyeuses et qu'on ferme avec douceur, sans qu'elles aient pu servir à quoi que ce soit. Mes mains maladroites, déjà, qui ne te touchent plus…</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Quand je suis sorti de chez Jeff, on aurait dit que le ciel cherchait quelque chose. C'était tout brouillé. Vagues de vieux rose et gros nuages de cendre qui s'abouchaient. Tu me parlais souvent des larmes du diable. Souvent.</span></span></p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">J’ai voulu relire quelques notes et d’un seul coup je me suis senti très triste. Aussi triste qu'une nouvelle dont la trame s'effiloche et finit par se perdre dans les méandres de la ville, comme au moment de se remettre au travail, on assiste, impuissant, à la chute de son imagination…</span></span></p><p> </p><p> </p><p><span style="font-family: Verdana, sans-serif;"><span style="font-size: small;">Pendant que mon estomac oscille d’un spasme à l’autre - pas grand-chose dans le frigo. Quelques carottes à gueules cassées et un pot de fromage blanc « date courte », périmé depuis plus d’une semaine - j’ai envie de voir si le gamin est toujours en bas. Près du square. Tout seul avec son ballon de rugby sous le bras. Pour quelle raison une angoisse m’envahit-elle lorsque je réalise soudain qu’il a disparu ? </span></span></p>