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Trois débuts d'histoires minuscules et quelques points de suture

Au rugby, comme ailleurs, il faut bien un début. Quelques accidents de parcours. Et des souvenirs, à la fin.

 

Un jour, me dit-il, ce moment où tu sais que tu as raté ta vie est arrivé. Et puis, il a plus voulu repartir...

Il avait fini par trouver un air de western au rugby. N’était-ce pas cela qui l’avait tout de suite attiré ? Sur toutes ces pelouse polies comme des râpes, et d’où qu’on regarde les choses, de solides gaillards - certains avaient, certes, des façons plus romantiques que les autres - paraissaient y consumer les dernières forces de la jeunesse, rien qu’entre eux et sans modération, l’air de se dire que les absentes, décidément, auraient toujours tort. Mais dans son for intérieur, où tout n’était que verve dans les cuisses et parfois, aussi, ce sentiment malsain de toute puissance, oui, aussi - quelques regards perçus de travers suffisaient à mettre le feu aux poudre et un poing venait, deux actions plus tard, embrouiller un sourire trop innocent pour être tout à fait honnête - dans son for intérieur, donc, il savait, avait presque toujours su, que ses batailles se livraient sans doute dans le but de décrocher le sourire de quelqu’une, sinon au moins pour retenir en passant l’attention de la fille de l’entraîneur. Ou celle du bar-tabac. Et sur ce point, il n’en démordrait jamais. Dans le fond, répétait-il, ses sourires d’après match crispés au bord d’un verre, Elles c’étaient Nous. Et Elles avaient toutes, plus ou moins, les manières de la Claudia Cardinale d’Il était une fois dans l’Ouest

 

Ensuite, me dit-il, il y a eu ce vent qui vous piquait les joues comme un sourire forcé d'infirmière malmenant son chariot...

C’est à peine s’il eut le temps d’escamoter son portable sous les draps du lit d’hôpital où il se remettait d’un triple pontage. Le chirurgien de la clinique des Cèdres était déjà à son chevet, flanqué de deux infirmières assez mignonnes pour faire naître chez lui un début de démangeaison dans une zone située en principe aux antipodes de ses préoccupations du moment. Mais d’abord, ne pas oublier son état. Tenir à distance le surcroît d’émotion qui l’avait submergé en lisant le sms. L’équipe avait réalisé une belle entame de match. Et pour une foutue bonne nouvelle…Restait à espérer qu’elle parvienne maintenant à mettre sa patte sur la rencontre. Et, allez savoir, qu’elle se défasse enfin d’un adversaire pourtant réputé coriace. Qu’elle n’était du reste jamais parvenue à battre, même sous ses ordres à lui, « le capitaine emblématique pleuré par tout un peuple », tel que ça s’était écrit, ici et là, dans toutes les gazettes sportives du pays. Ici et là où, d’abord son accident cardio-vasculaire, puis la confirmation de son retrait définitif des terrains, avaient été unanimement vécus comme un mauvais présage. Celui d’une défaite annoncée. Comme si dans ce sport éminemment collectif, un seul être pouvait venir à manquer…

 

Y-a-t-il une place, me dit-il, pour la gloire matérielle après tous ces voyages initiatiques sur le rebord de la cheminée...

C’était l’époque où Papa m’expliquait comment, avant chaque rencontre, certains se frottaient tout le corps au gant de crin après s’être largement badigeonnés de Dolpic, une pommade couleur rouille précisait-il - mais disait-il seulement vrai…Lorsque vous êtes sur l’âge, probable que vous mélangiez un peu les couleurs. Oui. Possible - une pommade capable de vous dégripper un grand-père «  en deux-deux. » On y apprenait le nom de villes quasiment inconnues jusqu’alors…Boucau, Tyrosse, Condom, Le Creusot, Montchanin…Et tous ces endroits vivaient encore au rythme des derbys sanglants. Et la foule se pressait, le temps d’un après-midi, dans les coulisses d’un petit centre horticole assez étrange - deux hauts mats aux allures de potence - des potences en forme de h majuscule - en délimitaient de part et d’autre les contours - se délectant par avance d’un spectacle qui verrait sous peu la jeunesse locale s’engluer dans les boues glaciales des dimanches. Ces cités - on n’en entendait jamais parler. Ailleurs. Et bientôt on n’en parlerait plus jamais. Après - on ne concevait d’y vivre qu’à condition que l’existence aille vite et soit à peine plus courte qu’un short… »

 

Benoit Jeantet

 

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